L'image était émouvante et le symbôle fort, cette explosition d'allégresse et tous ces délégués s'étreignant à l'annonce de Laurent Fabius, président de la 21e Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 21), de l'acceptation par toutes les délégations, de l'Accord de Paris sur le climat. La planète venait d'être sauvée. In extremis. L'apocalypse climatique serait à présent derrière nous. Nous pouvons ranger nos thermomètres et nous pencher sur d'autres sujets tout aussi préoccupants : le terrorisme internationale, la protection universelle de la dignité humaine, le règlement des conflits internationaux, la prévention des crises alimentaires, humanitaires et sanitaires, les politiques internationales d'aide au développement. Mais avant cela, revisitons quand même l'accord auquel les négociateurs sont parvenus après deux semaines d'intenses tractations.
Bien évidemment, les avis sont partagés : entre ceux qui avaient prédit un non-accord, ceux qui n'accordent aucun bénéfice du doute au texte avant même son application, ceux qui y voient un mort-né ou, à l'inverse, prédisent un franc succès et, enfin, ceux qui recommandent veille et prudence. Pour ma part, l'Accord de Paris est un bon accord. Non pas forcément parfait (si tant est que la perfection est de ce monde), mais un bon accord. D'abord parce qu'il est l'expression d'une négociation internationale réussie (I). Ensuite parce qu'il est réaliste (II).
I. L'Accord de Paris sur le climat : expression d'une négociation internationale réussie
Pour apprécier objectivement l'Accord de Paris, il faut bien savoir d'où il vient, qu'il s'agisse des difficultés qui ont précé la COP 21 ou des objectifs qui étaient assignés à cette Conférence. Sur cette base, il y a lieu de se féliciter de ce que, non seulement ce texte règle les divergences des Parties aux négociations, mais en plus il réalise le mandat confié à la COP 21.
A. Un accord qui règle les divergences des gouvernements sur la question de la lutte contre le changement climatique
L'un des plus grands succès de l'Accord de Paris est d'avoir mis sur la même longueur d'onde l'ensemble des délégations sur une question aussi complexe et controversée que celle du changement climatique sur laquelle, le moins que l'on puisse dire, est que la communauté internationale était fortement divisée. Que ce soit sur la base de leur situation économique (pays développés vs pays en développement), de leur responsabilité historique et actuelle quant aux émissions de gaz à effet de serre (pays fortement pollueurs vs pays moins pollueurs) ou de leurs capacités d'adaptation aux effets néfastes des changements climatiques (pays vulnérables au changement climatique vs pays moins vulnérables), les intérêts des différents gouvernements étaient loin d'être convergents. Or Paris a réussi là où Copenhague a échoué en 2009 puisqu'il s'agissait déjà de définir le futur régime climatique qui devait entrer en vigueur à partir de 2013, à l'expiration du Protocole de Kyoto en décembre 2012. Mais c'est que les divergences étaient trop nombreuses et en apparence irréconciliables : (1) la nature juridique du futur accord (contraignant pour les uns et non contraignant pour les autres); (2) le niveau d'ambition nécessaire pour la stabilisation du climat mondial (entre une élévation de température de 1,5°C et 2°C par rapport aux niveaux préindustriels); (3) la répartition des niveaux de réduction des émissions entre pays développés, émergents et en développement (l'absence d'engagements contraignants pour certains pays comme la Chine ayant constitué l'un des motifs du refus des Etats-Unis de ratifier le Protocole de Kyoto et du retrait du Canada); (4) la question des pertes et préjudices (qui doit assumer les conséquences irréversibles du changement climatique ?); (5) l'universalité des engagements découlant de l'Accord ou leur circonscription à une catégorie d'Etats (comme c'est le cas du Protocole de Kyoto qui ne fixe d'engagements contraignants que pour les pays développés) et, last but not the least, (6) la question lancinante, du financement, du transfert des technologies et du renforcement des capacités en faveur des pays en développement. Bref, les désaccords ne manquaient pas. Toutes ces questions ont pourtant été réglées dans l'Accord de Paris et comme je l'ai dit en d'autres circonstances, en diplomatie, un accord, quel qu'en soit le contenu ou la portée, vaut toujours mieux qu'un non-accord. Paris a donc été un succès d'autant plus qu'il a abouti sur un texte qui réalise le mandat confié à la COP 21.
B. Un accord qui réalise le mandat confié à la COP 21
Après l'échec de la COP 15 à Copenhague en 2009, les gouvernements avaient décidé de reconduire le Protocole de Kyoto jusqu'en 2020, pour une seconde période d'engagement et, ce faisant, avaient pris rendez-vous en 2015 à Paris pour l'adoption du futur régime climatique post-Kyoto. Ainsi, lors de la COP 17 à Durban en 2011, ils ont établi le Groupe de travail spécial de la plate-forme de Durban pour une action renforcée (ADP) en vue de l'élaboration d'un protocole, un instrument juridique ou un texte convenu d'un commun accord ayant valeur juridique, qui doit entrer en vigueur à l'expiration du Protocole de Kyoto. A cet égard, la COP 17 a décidé que l'ADP "mènera à bien ses travaux dans les meilleurs délais mais au plus tard en 2015, afin que la Conférence des Parties adopte ledit protocole, instrument juridique ou texte convenu ayant valeur juridique à sa vingt et unième session et qu'il entre en vigueur et soit appliqué à partir de 2020". Pour la plupart des gouvernements, ce texte devait donc être ambitieux, universel, contraignant et flexible. L'Accord de Paris renferme toutes ces caractéristiques.
(1) L'Accord de Paris est un texte ambitieux dans la mesure où il doit permettre de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels (article 2). Selon les experts du Groupe international d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), ce niveau d'ambition, s'il est effectivement atteint, permettrait d'éviter les perturbations climatiques dangereuses. Toutefois, la COP 21 a noté que les niveaux d'émissions globales de GES en 2025 et 2030 estimés sur la base des contributions prévues déterminées au niveau national (CPDN) des 188 pays qui les ont formulées ne sont pas compatibles avec cet objectif et des efforts supplémentaires de réduction des émissions seront nécessaires.
(2) L'Accord de Paris est universel dans la mesure où il prévoit des engagements d'atténuation et d'adaptation, certes volontaires, mais clairement exprimés sous la forme de CPDN, pour toutes les parties contractantes, qu'elles soient développées, émergentes ou en développement (article 3). Il marque une avancée et en même temps un recul par rapport à Kyoto...
(3) L'Accord de Paris est contraignant dans la mesure où chaque partie contractante, une fois qu'elle aura accompli les formalités internes d'expression du consentement définitif à être lié, engagera sa responsabilité internationale dans le cas où elle ne respecte pas ses engagements. Autrement dit, les engagements - volontairement exprimés - dans l'Accord sont obligatoires.
(4) L'Accord de Paris est flexible dans la mesure où il demeure sous la tutelle du principe de responsabilités communes mais différenciées et les obligations consenties par les Parties ne sont donc pas les mêmes (article 2, paragraphe 2). En outre, il prévoit que les Parties procèderont à un bilan mondial de sa mise en oeuvre tous les cinq ans à partir de 2023. "Les résultats du bilan mondial éclairent les Parties dans l'actualisation et le renforcement de leurs mesures et de leur appui selon des modalités déterminées au niveau national..." (article 4, paragraphe 3). C'est dire que le texte pourra être périodiquement révisé dans l'optique de le mettre en harmonie avec l'ambition prévue pour contenir l'élévation mondiale de la température.
II. L'Accord de Paris sur le climat : un accord réaliste
Passé l'émotion, une lecture attentive de l'Accord de Paris démontre bien qu'il s'agit d'un texte réaliste qui prend en compte son contexte, qu'il s'agisse des modalités de son entrée en vigueur ou des mécanismes de contrôle de sa mise en oeuvre.
A. Le réalisme au niveau des modalités d'entrée en vigueur
Contrairement à une certaine opinion non avertie, l'Accord de Paris n'est pas encore applicable, en dépit du consensus auquel les négociateurs sont parvenus. En effet, le texte devra être formellement signé par les différents gouvernements, lesquels, par la suite, devront exprimer leur consentement définitif à être lié (ratification, acceptation, approbation, adhésion) selon les modalités propres à chaque constitution nationale. En d'autres termes, même si les diplomates sont parvenus à un accord dit "historique", il faudra que les parlements nationaux, en tant que représentants des peuples, valident d'abord le texte avant son entrée en vigueur effective. Car, sans l'appui des peuples, le texte sera mort-né ! Et cela avant 2020, date d'expiration du Protocole de Kyoto qu'il est appelé à remplacer. Ce n'est pas gagné, mais c'est bien possible.
Pour ce faire, le texte prévoit à son article 20, paragraphe 1, qu' "il sera ouvert à la signature au Siège de l'Organisation des Nations Unies à New York du 22 avril 2016 au 21 avril 2017 et sera ouvert à l'adhésion dès le lendemain du jour où il cessera d'être ouvert à la signature". Plus loin, l'article 21 dispose qu'il "entre en vigueur le trentième jour qui suit la date du dépôt de leurs instruments de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion par 55 Parties à la Convention qui représentent au total au moins un pourcentage estimé à 55% du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre". Au-delà donc de la validation du texte au niveau national, son entrée en vigueur est doublement conditionnée, quantitativement et qualitativement, dans un souci de réalisme et d'efficacité.
Quantitativement, il s'agit pour l'Accord d'être ratifié par au moins 55 des 195 Etats parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Qualitativement, il s'agit de dire que les 55 Etats ayant ratifié le texte ne doivent pas être n'importe lesquels. Ils devront faire partie des grands pollueurs de la planète représentant au moins 55% des émissions mondiales de GES afin d'assurer l'efficacité du texte. C'est pourquoi celui-ci devra être impérativement approuvé par les principaux pays industrialisés, notamment les Etats-Unis, les pays de l'Union Européenne, le Japon, l'Australie, mais aussi par les pays émergents, en particulier les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) quand bien même il atteindrait le quota des 55 ratifications. Pour cela, la cop 21 a créé un groupe de travail spécial pour préparer son entrée en vigueur.
B. Le réalisme au niveau des mécanismes de contrôle de la mise en oeuvre
Une fois que le texte sera entré en vigueur, les Parties auront alors l'obligation de mettre en application les engagements qu'elles ont contractés (atténuation, adaptation, financement, transfert des technologies, renforcement des capacités, éducation, sensibilisation, coopération internationale, etc.). A ce titre, un cadre de transparence renforcé des mesures et de l'appui a été créé par l'Accord (article 13) afin d'améliorer la confiance mutuelle et de promouvoir une mise en oeuvre efficace. Ainsi, les pays développés communiquent leurs appuis financiers (100 milliards de dollars au moins par an), technologiques et en termes de renforcement des capacités en faveur des pays en développement, tandis que ces derniers communiquent des informations sur l'appui dont ils ont besoin ou qu'ils ont reçu.
De même, un mécanisme pour faciliter la mise en oeuvre et le respect de l'Accord est institué (article 15). Il fonctionne d'une manière transparente, non accusatoire et non punitive. En effet, en ce domaine, au risque de parvenir au résultat contraire, il vaut mieux accompagner les Parties qui rencontrent des difficultés dans la mise en oeuvre de leurs obligations conventionnelles plutôt que de les mettre en accusation. C'est dire que le contrôle de l'application de l'Accord privilégie le dialogue et la concertation plutôt que la sanction, comme il est d'ailleurs coutume dans la majorité des accords environnementaux multilatéraux. Ce n'est donc pas ici qu'il faut s'attendre à une saisine de la Cour internationale de Justice pour non respect pas un Etat de ses engagements, bien que la compétence de la haute juridiction internationale ait été maintenue. C'est la preuve la plus patente du réalisme des négociateurs de Paris.
En somme, la COP 21 avait pour mandat d'adopter un accord pour remplacer le Protocole de Kyoto qui prend fin en 2020. Elle a fait son job. Il s'agit à présent d'accentuer les énergies sur les deux prochaines étapes. La première est celle de l'entrée en vigueur de l'Accord au plus tard en 2020. La seconde est celle de son application effective, le moment venu, par toutes les parties concernées. Dans un cas comme dans l'autre, tout dépendra de la bonne volonté des gouvernements, de la pression des opinions publiques, mais également d'un certain nombre de facteurs objectifs comme l'évolution de la situation économique mondiale, la sécurité dans le monde, l'existence et l'accessibilité d'alternatives crédibles aux énergies fossiles ou encore la position singulière des grands pays industrialisés et émergents.
Le chemin est donc encore long si l'on veut effectivement baisser la température... Paris n'était qu'une escale, certes réussie, et non la destination finale.