Ubi societas ibi jus
Dans le sillage du débat portant sur la transparence du système électoral camerounais qui anime la classe socio-politique camerounaise depuis la restauration du multipartisme au début des années 1990 et qui a donné lieu au remplacement de l’administration territoriale par ELECAM dans l’optique de l’organisation, de la gestion et de la supervision des échéances électorales au Cameroun, il nous semble opportun d’ouvrir une autre fenêtre de ce débat passionnant et passionné qui est celle de l’admission de la candidature indépendante à l’occasion des consultations électorales au Cameroun. A toutes fins utiles, il convient de rappeler que la candidature indépendante est déjà admise à l’occasion de l’élection présidentielle au Cameroun. En effet, conformément à l’article 53 de la loi n° 97-020 du 9 septembre 1997 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 92-010 du 17 septembre 1992 fixant les conditions d’élection et de suppléance à la Présidence de la République, les candidats peuvent être soit investis par un parti politique, soit indépendants ; la condition dans cette seconde hypothèse étant que ces derniers soient présentés « par au moins trois cents (300) personnalités originaires de toutes les provinces, à raison de trente (30) par province et possédant la qualité soit de membre de l’Assemblée nationale ou d’une chambre consulaire, soit de conseiller municipal, soit de chef traditionnel de premier degré ». En revanche, tel n’est pas le cas en ce qui concerne les autres consultations électorales. Qu’est-ce qui peut justifier une pareille discrimination ? Quelles en sont l’opportunité et la pertinence ?
Notre propos dans la présente réflexion vise donc à montrer la nécessité d’étendre la candidature indépendante aux autres consultations électorales, à savoir précisément les élections municipales, parlementaires (députés et futurs sénateurs) et celles concernant les futurs conseillers régionaux. Toutefois, plus que dans toute autre espèce, il nous semble que c’est lors des élections municipales que l’enjeu et l’intérêt des candidatures indépendantes sont le plus manifestes. C’est donc particulièrement sur cette élection que nous nous attarderons dans les développements qui vont suivre.
L’enjeu de la candidature indépendante à l’occasion des élections municipales au Cameroun
Au Cameroun, les élections municipales ont pour objet la désignation par les populations locales des conseillers municipaux. Et, lorsque l’on se réfère à la loi N° 92-002 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux, telle que modifiée et complétée par la loi N° 2006/010 du 29 décembre 2006, seuls les candidats investis par un parti politique sont admis à prendre part à l’élection. En effet, conformément aux articles 18 et 19 de ce texte, non seulement la déclaration de candidature doit mentionner le parti politique auquel elle se rattache, mais également elle doit être accompagnée d’une attestation par laquelle le parti politique investit l’intéressé en qualité de candidat. De telles dispositions ont une double conséquence : d’une part, elles confinent tout potentiel candidat à adhérer à un parti politique dans la perspective d’être élu au conseil municipal et, d’autre part, elles embrigadent le citoyen-électeur au choix de candidats présentés exclusivement par des partis politiques. C’est face à cet état du droit, au demeurant anachronique de notre point de vue, que nous soutenons l’admission de la candidature indépendante. En effet, l’ouverture des élections municipales à la candidature indépendante présente l’avantage de sortir de la dictature du système des partis qui domine encore le microcosme politique camerounais car elle permet, non seulement d’éviter que le choix ne soit limité à des partis qui pour l’essentiel ont perdu tout crédit auprès de la grande masse, mais également de permettre l’avènement aux affaires de personnalités suffisamment crédibles et représentatives, quand bien même elles ne militent pas au sein des partis politiques traditionnels. En effet, il n’est pas exagéré que de dire qu’il y a des individus qui, dans leur modeste personne, jouissent d’une plus grande notoriété, d’une bien meilleure crédibilité et d’une vision politique plus mobilisatrice dans leur localité que des partis politiques implantés depuis un certain temps ne possèdent pas, tout simplement parce qu’il s’agit de partis familiaux, tribaux ou tout simplement constitués dans l’attente des financements publics. Pourquoi obliger de telles personnes à constituer ou à adhérer à un parti politique afin de briguer un mandat alors même qu’elles jouissent déjà de la sympathie populaire qui constitue le fondement même d’un système démocratique ?
En outre, lorsqu’on se réfère à nouveau à notre système d’élection des maires, on se rend compte qu’en réalité ces derniers sont élus par et entre les conseillers municipaux. Cela signifie, en d’autres termes, que ce ne sont pas les populations qui élisent le maire, mais les conseillers municipaux, parmi leurs pairs. Il en découle, a priori, qu’un conseiller municipal élu comme candidat indépendant n’a aucune chance d’être élu comme maire du fait des coalitions partisanes qui prédominent au moment de la désignation de ce dernier. Or, l’élection du maire porte sur une fonction exécutive où l’équation personnelle du candidat joue un rôle majeur. Il est logique et juste que les populations aient une réelle emprise sur le choix de celui qui est appelé à porter leurs aspirations à leur firmament. Il serait donc plus sain que les populations aient la latitude de déterminer directement, par leur vote, la personne jugée capable de traduire dans la réalité leurs besoins. De ce point de vue, cela n’aurait donc ni sens ni logique que les candidatures indépendantes soient admises lors de la désignation des conseillers municipaux alors que le maire continue d’être désigné par ces derniers. Il nous semble plus opportun que l’élection municipale soit réformée dans le sens où la tête de liste (et le candidat indépendant appartient bien à une liste, bien que uninominale, dont il constitue la tête) arrivée en tête des votes populaires soit directement désignée maire.
L’intérêt de la candidature indépendante dans un système démocratique
L’intérêt de la candidature unique se situe à plusieurs niveaux. Dans un premier temps, elle permet de revigorer le système démocratique en construction dans notre pays. En effet, la candidature indépendante est un moyen de sortir définitivement de la dictature des partis pour redonner sa place à l’individu dans le jeu démocratique. Ce sont les individus qui vont élire directement un autre individu en charge de porter leurs aspirations, et non pas un parti politique qui, à travers ses rouages internes, notamment les consignes de vote, qui va désigner le maire.
En outre, dans le contexte camerounais où les partis politiques sont en perte de vitesse et que la politique elle-même intéresse de moins en moins les citoyens, l’admission de la candidature indépendante permet de donner un nouveau souffle à la politique et surtout d’accompagner l’émergence d’une nouvelle génération de leaders politiques qui n’ont pas besoin de se compromettre dans des concessions partisanes pour briguer un mandat.
L’intérêt de la candidature indépendante se situe enfin dans le fait que le candidat n’a pas besoin de se livrer à des joutes partisanes (parfois mortelles ou faites de promesses de mort) pour briguer un mandat électoral. Et, très souvent, ce ne sont pas les candidats les plus populaires qui sont investis par leurs partis politiques. Soit les élections primaires sont purement et simplement truquées, soit alors le candidat investi est directement désigné par les autorités dirigeantes du parti, au grand dam de ses concurrents à l’investiture qui, de ce fait, n’ont aucun moyen de recours à leur disposition.
Face à un tel état de fait, l’admission de la candidature indépendante à l’occasion des élections municipales est plus que jamais nécessaire. Celle-ci répond non seulement à l’impératif démocratique, mais aussi à un souci de moralisation du jeu politique au Cameroun. Bien évidemment, l’admission de la candidature indépendante à l’occasion des élections municipales est un choix éminemment politique qui passe par une refonte profonde de la loi N° 92-002 du 14 août 1992, fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux, telle que modifiée et complétée par la loi N° 2006/010 du 29 décembre 2006. Il s’agira par exemple de déterminer des conditions particulières pour l’admission des candidatures indépendantes, à l’image de l’élection présidentielle, afin d’éviter l’émergence de candidatures fantaisistes. On pourra par exemple citer l’obtention d’un certain nombre de signatures de personnalités résidant dans la commune concernée, telles que des parlementaires, des conseillers régionaux sortants ou des responsables d’association déclarées ou autorisées. En somme, nous voulons dire que la politique a besoin d’être repensée au Cameroun et il est temps d’en redéfinir les fondamentaux. C’est dans cette perspective que s’inscrit la présente contribution.