Ubi societas ibi jus
Le débat autour du terrorisme international a indéniablement pris des proportions considérables depuis les attentats tristement spectaculaires et sanglants du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis qu’aujourd’hui, aucun Etat ou groupe d’Etats, voire même des organisations privées, ne reste à la traîne quant aux mesures à adopter afin d’en conjurer les méfaits. En effet, bien que la controverse doctrinale persiste sur la définition de la notion même de terrorisme, l’unanimité est quasi-universelle quant à son rejet comme mode d’expression ou de revendication politique. C’est dans ce sens que l’Organisation des Nations Unies (ONU), embryon d’un gouvernement à l’échelle mondiale, a condamné cette pratique dans une succession de résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité, mais également à travers la mise en place d’une stratégie mondiale de lutte contre le phénomène.
Cependant, il n’en demeure pas moins que le terrorisme existe, qu’il persiste et continue malheureusement à endeuiller de nombreuses familles innocentes. L’Afrique, centre d’intérêt de cette réflexion, pose évidemment le problème de sa vulnérabilité vis-à-vis du phénomène. Et, contre toutes attentes, le continent noir, carrefour officialisé de tous les malheurs terrestres imaginables (conflits armés interminables, famines intarissables, pandémies incurables, etc.), est resté globalement en marge de celui-ci. Si nous nous félicitons de ce « contraste » plutôt heureux, il ne devrait pourtant pas dissimuler le sens de la présente réflexion dont la vocation est éminemment interpellative : l’Afrique demeure un terreau socio-sécuritaire fertile au terrorisme international, d’où l’urgence de la mise en place d’un système antiterroriste efficient sur le continent avant que ne survienne un retournement de situation qui ferait du continent africain une place forte de cette pratique peu recommandable.
L’Afrique, un terreau socio-sécuritaire fertile au terrorisme international
Conduite sous le leadership des Etats-Unis après la tragédie du « mardi noir », « la guerre contre le terrorisme » a été un échec cuisant ; en témoigne la prolifération des attentats meurtriers à l’échelle planétaire, notamment à Bali, Djakarta, Madrid, Istanbul, Islamabad, Bombay, en Afghanistan et en Irak, mais également à Djerba, Casablanca et Mombasa, pour ne citer que ces exemples. C’est la preuve irréfutable que l’Afrique n’est pas véritablement en marge de ce phénomène de propagation de la terreur. Dans ce sens, il est loisible de relever que si certains de ces actes sont perpétrés par des africains eux-mêmes, expression d’un ras-le-bol incoercible et d’un tissu social en déliquescence, d’autres, en fait, sont facilités par la fragilité des systèmes sécuritaires, poreux aux incursions extérieures déstabilisatrices.
L’Afrique, un moule de terroristes en puissance
Le terrorisme, aujourd’hui, est un phénomène planétaire. Pour Hamid Barrada, « le danger terroriste est réel, et il serait sage d’en prendre toute la mesure ». Tel est le constat : il est implacable, mais relève d’un pragmatisme éclairé. Qu’est-ce qui peut donc autant motiver ces marchands de l’apocalypse dans leur basse besogne ?
C’est que le terrorisme apparaît aujourd’hui comme le symptôme d’une société internationale malade ; malade de ses injustices, de ses disparités et de ses exclusions. Dans des sociétés africaines marquées par des systèmes démocratiques qui restent à construire, une inégale répartition des ressources économiques disponibles, l’existence de bidonvilles géants, cimetières vivants de tant d’espoirs déçus, réceptacles de générations entières frustrées et en mal d’être, en mal de devenir, bref, en défaut d’avenir, et en fin de compte, creuset idéal pour les sergents recruteurs de l’Internationale terroriste, le terrorisme ne peut que y faire son lit. C’est d’ailleurs l’argument majeur qui a été mis en avant lors des attentats de Casablanca au Maroc le 16 mai 2003 où les 14 terroristes étaient marocains, tous issus du bidonville de Sidi Moumen où la police ne pénétrait plus ; ou encore de la prise d’otages au Nigeria le 31 juillet 2004 de 165 travailleurs de la société américaine Mallard Bay, qui opère en sous-traitance avec SHELL, par une trentaine de ravisseurs autochtones qui réclamaient des emplois et une meilleure répartition des revenus issus du pétrole local.
Ce qu’il faut retenir des développements qui précèdent, c’est que même si le terrorisme n’est pas encore profondément ancré dans les pratiques africaines, le continent renferme les germes d’un terrorisme en puissance. Le procédé risque de prendre de l’ampleur et éclore véritablement avec le temps si la situation sociale demeure statique et que les marchands d’illusions parviennent à récupérer les mécontentements populaires pour en faire une arme à leur disposition.
L’Afrique, une cible facile du terrorisme international
« L’Afrique a été et restera pour l’avenir prévisible un continent mûr pour des actes terroristes », ainsi s’exprimait un responsable du Pentagone, soulignant que Washington s’employait à renforcer sa coopération militaire avec les africains en vue de prévenir les attentats terroristes. Une telle affirmation, aussi pessimiste qu’elle puisse paraître pour le continent noir, n’a certainement pas été faite ex-nihilo. En effet, c’est en s’inspirant de l’état de santé sécuritaire sur le continent africain que ce stratège américain a pu formuler sa théorie : porosité des frontières (avec ce que cela comporte comme circulation des personnes douteuses et des arsenaux de guerre), formation policière et matériels antiterroristes insuffisants ou inadaptés, systèmes de prévention dans les transports en commun approximatifs, et bien d’autres lacunes encore qu’il convient de combler.
Sur la base de ce diagnostic lucide, l’on peut déduire que l’Afrique présente des carences au plan stratégique et des insuffisances sécuritaires qui, éventuellement, peuvent attirer l’attention des terroristes internationaux en vue de s’attaquer aux intérêts occidentaux, ou autres, beaucoup moins protégés ici qu’en Occident. Il n’y a qu’à s’en référer aux attentats simultanés contre les ambassades américaines de Naïrobi au Kenya et Dar-Es-Salem en Tanzanie en août 1998, l’attentat contre la synagogue israélite de Djerba en Tunisie le 16 avril 2001, le double attentat de Mombasa au Kenya, commis contre les intérêts israéliens, le 28 avril 2002 ou encore la prise en otage d’employés français opérant pour la société minière Areva au Niger le 16 septembre 2010 par Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI).
Ainsi, face au renforcement des mesures sécuritaires en Occident, il n’est pas exclu que les terroristes internationaux se rabattent sur l’Afrique, où la marge de nuisance demeure plus importante; des mesures de prévention et de réaction doivent donc être prises en urgence.
L’urgence d’un système antiterroriste efficient en Afrique
Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, l’Afrique reste une cible relativement accessible au terrorisme international. Des mesures opportunes, fortes, mais surtout diligentes doivent donc être adoptées. Celles-ci peuvent relever, soit d’une stratégie directe de lutte contre le terrorisme, soit alors d’une stratégie indirecte, destinée à contrecarrer le phénomène à sa base.
Les méthodes directes de lutte contre le terrorisme en Afrique
La lutte directe contre le terrorisme en Afrique se situe à l’avant-garde des déficits sécuritaires évoqués dans le paragraphe précédent. Il s’agit donc d’un ensemble de mesures destinées à combattre de front les actes de terrorisme tels qu’ils se manifestent dans l’espace africain. Celles-ci consisteront concrètement à renforcer les mesures de sécurité et de contrôle aux frontières des Etats africains, à développer les moyens d’appropriation des mécanismes juridiques et institutionnels de lutte contre le terrorisme établis sur le continent, à assurer l’effectivité de la coopération policière et judiciaire, la lutte contre le financement du terrorisme, le trafic illicite des armes et matériels explosifs, mais également et surtout l’acquisition d’une technologie de pointe de nature à détecter les engins nocifs les plus discrets, notamment dans les lieux de transport en commun comme les aéroports.
Toutefois, parce que le risque zéro n’existe pas, il est nécessaire de réprimer avec la plus grande fermeté les actes terroristes perpétrés, en identifiant non seulement les auteurs et complices, mais aussi les commanditaires ; d’où la nécessité d’une législation idoine permettant de délimiter le sens du concept et son appropriation par les ordres juridiques nationaux, de même que l’existence de forces de police et des autorités judiciaires spécialement formées sur les questions d’antiterrorisme.
Les méthodes indirectes de lutte contre le terrorisme en Afrique
Les manœuvres et stratégies de lutte contre le terrorisme ne peuvent véritablement se réaliser et être efficaces que si elles sont inscrites dans une démarche qui dépasse le traitement symptomatique du phénomène pour appréhender les causes profondes qui l’animent. En ce sens, lors de son intervention à l’occasion de la réunion intergouvernementale de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme à Alger du 11 au 14 septembre 2002, le Président de la République algérienne Abdel Aziz Bouteflika affirmait ceci : « le combat contre la pauvreté est peut-être l’élément premier indispensable de la lutte contre le terrorisme, car si la pauvreté est humainement et moralement inacceptable, elle est un facteur destructeur des vertus humaines et des bases de la solidarité sociale ». Il ressort de ces propos hautement significatifs que plus de justice sociale (accès à l’eau potable, à l’alimentation de base, à l’éducation élémentaire et aux soins primaires) contribuerait, à n’en point douter, à bâtir des piliers de stabilité pour tout le continent et, ipso facto, à réduire la sensibilité aux discours terroristes.
Il s’agit donc là d’une interpellation sans équivoque à l’endroit de tous les leaders africains (politiques, religieux, traditionnels, etc.), mais également de la communauté internationale, qui doivent se hisser à la hauteur de leurs responsabilités et de leurs engagements pour faire prévaloir le droit à la justice des plus faibles et des plus démunis. L’enjeu, à notre sens, est doublement salutaire : il est humanitaire d’abord, car il préserve l’Afrique de sinistres supplémentaires ; il est stratégique ensuite et s’inscrit dans une vision à long terme de politique économique, tant il est vrai qu’aucun développement n’est envisageable sans la stabilité. Et en la matière, il va de soi que la prévention vaut toujours beaucoup mieux que toute forme de thérapie.
Il s’agit des attentats contre les tours jumelles du World Trade Center à New York, contre le Pentagone à Washington et du crash d’un avion en Pennsylvanie, dont le point de chute, vraisemblablement, était la Maison Blanche, et dont le bilan s’évalue à 2986 pertes en vies humaines, in http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_du_11_septembre_2001.
On peut lire à ce sujet John Brown, « Les périlleuses tentatives pour définir le terrorisme » in Le Monde Diplomatique, N°579, février 2002, pp. 4-5 ou encore Jacques Derrida, « Qu’est-ce que le terrorisme ? » in Le Monde Diplomatique, N°599, février 2004, p. 16.
Résolution 1368 du 12 septembre 2001 suite aux attentats du WTC et du Pentagone ; Résolution 1450 du 13 décembre 2002 condamnant les attentats terroristes perpétrés à Mombasa au Kenya ; Résolution 1530 suite à l’attaque à la bombe de Madrid du 11 mars 2004 ; Résolution 1618 du 4 août 2005 condamnant les attentats terroristes en Irak., etc.
La stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme a été adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 8 septembre 2006, sous la forme d’une résolution (A/RES/60/288) à laquelle est annexé un plan d’action. Cette stratégie est fondée sur la condamnation systématique, sans équivoque et vigoureuse par les Etats membres du terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, quels qu’en soient les auteurs, les lieux et les buts, ainsi que sur l’adoption de mesures concrètes visant à éliminer les conditions propices à la propagation du terrorisme et à renforcer la capacité individuelle des Etats et de l’ONU à prévenir et combattre le terrorisme, tout en veillant à la protection des droits de l’homme et au respect de l’Etat de droit. Elle vient appuyer l’action de l’équipe spéciale antiterroriste créée par le Secrétaire Général des Nations Unies en juillet 2005 pour assurer la coordination et la cohérence de l’action menée à l’échelle du système des Nations Unies et complète la résolution 1373 du 28 septembre 2001 adoptée par le Conseil de Sécurité.
Il s’agit ici d’une question de proportionnalité, car si des actes de terrorisme sont bel et bien perpétrés en Afrique, ce n’est pas avec la même fréquence, la même violence et la même acuité que dans le reste du monde, notamment en Asie. En outre, ceux-ci semblent bien circonscrits dans la région du Maghreb et dans le Sahel.
Dixit le Président américain George W. Bush lors de son discours à l’Académie militaire de West Point le 1er juin 2002.
Attentat de Djerba en Tunisie le 16 avril 2001 ; attentat de Casablanca au Maroc le 16 mai 2003 ; attentat de Mombasa au Kenya le 28 novembre 2002.
Pierre Conesa parle d’un terrorisme « mondialisé », tant par ses auteurs que ses victimes. Cf. Pierre CONESA, « Aux origines des attentats suicides » in Le Monde Diplomatique N°603, juin 2004, pp. 14-15. Lire dans le même sens le discours du Président Paul Biya à la tribune des Nations Unies à l’occasion de l’Assemblée générale de 2008.
Lire Marie Joannidis, « Corne de l’Afrique : enjeux stratégiques et conflits » in www.rfi.fr/fichiers/MFI/PolitiqueDiplomatie/1194.asp.
Ce double attentat était dirigé contre un hôtel où logeaient pour l’essentiel des touristes israéliens et un avion transportant des voyageurs originaires de l’Etat hébreu.
Il s’agit précisément des normes dont la portée juridique est plus ou moins certaine, et qui sont développées dans des textes à vocation continentale tels que la convention de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme adoptée en juillet 1999 et son protocole de juillet 2004, de la déclaration de Dakar contre le terrorisme d’octobre 2001, du plan d’action pour la prévention et la lutte contre le terrorisme de septembre 2002, mais également des organes d’action comme le Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme et le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, dont le mandat concerne tout aussi bien des aspects liés à la lutte contre le terrorisme.
En dépit des critiques plus ou moins fondées que l’on pourrait lui faire, la convention OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme propose une définition de l’acte terroriste à l’article 1er § 3. Il s’agit de :
« (a) tout acte ou menace d’acte en violation des lois pénales de l’Etat Partie susceptible de mettre en danger la vie, l’intégrité physique, les libertés d’une personne ou d’un groupe de personnes, qui occasionne ou peut occasionner des dommages aux biens privés ou publics, aux ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel et commis dans l’intention :
(i) d’intimider, provoquer une situation de terreur, forcer, exercer des pressions ou amener tout gouvernement, organisme, institution, population ou groupe de celle-ci, d’engager toute initiative ou de s’en abstenir, d’adopter, de renoncer à une position particulière ou d’agir selon certains principes ; ou
(ii) de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations ;
(iii) de créer une insurrection générale dans un Etat partie.
(b) Toute promotion, financement, contribution, ordre, aide, incitation, encouragement, tentative, menace, conspiration, organisation ou équipement de toute personne avec l’intention de commettre tout acte mentionné au paragraphe a (i) à (iii) ».
En outre, elle enjoint les Etats parties à incriminer en toute priorité dans leurs ordres juridiques nationaux les actes terroristes tels qu’ils sont définis par l’article 1er § 3.