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Ubi societas ibi jus

L'arrêt de la CIJ en l'affaire relative aux Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal)

La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies, a rendu un arrêt le 20 juillet 2012, en l’affaire relative aux Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, opposant le Royaume de Belgique à la République du Sénégal. Cette décision met un terme à une procédure judiciaire d’environ trois ans et demi, initiée par une requête du Royaume de Belgique du 19 février 2009, au sujet d’un différend relatif au respect par le Sénégal de son obligation de poursuivre M. HISSENE HABRE, ancien Président de la République du Tchad, ou de l’extrader vers la Belgique aux fins de poursuites pénales.

I. LA SUBSTANCE DE L’ARRET DE LA CIJ

En dépit des exceptions préliminaires soulevées par le Sénégal, la Cour s’est déclarée compétente pour statuer sur les demandes qui lui étaient soumises par la Belgique. En particulier, s’agissant de la recevabilité de la requête, elle déclare que « tout Etat partie à la convention contre la torture peut invoquer la responsabilité d’un autre Etat partie dans le but de faire constater le manquement allégué de celui-ci à des obligations erga omnes partes, telles que celles qui lui incombent en application du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7, et de mettre fin à un tel manquement » (paragraphe 69 de l’arrêt).

Sur le fond, la Cour considère que le Sénégal n’a pas satisfait à l’obligation prescrite à l’article 6, paragraphe 2 de la convention contre la torture, du fait de n’avoir pas ouvert d’enquête préliminaire à l’encontre de M. HISSENE HABRE, en vue de corroborer ou non les soupçons qui pèsent sur sa personne, après que des plaintes aient été déposées contre lui au Sénégal pour des actes de torture.

En second lieu, conformément à l’article 7, paragraphe 1 de la convention contre la torture, la Cour estime que la Belgique est en droit de demander au Sénégal de se prononcer sur le respect de son obligation de poursuivre ou d’extrader. Elle poursuit que les obligations qui pèsent sur le Sénégal ne sauraient être affectées ni par la décision rendue par la Cour de Justice de la CEDEAO le 18 novembre 2010 demandant le jugement de M. HISSENE HABRE par une juridiction ad hoc à caractère international, ni par les difficultés financières invoquées par le Sénégal, encore moins par la saisine de l’Union Africaine de l’affaire. Elle fait observer, enfin, que le Sénégal ne saurait invoquer son droit interne pour se soustraire de ses obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 7 susmentionné.

Par tous ces motifs, la Cour conclut que le Sénégal ayant manqué à ses obligations découlant de la convention contre la torture, il a engagé sa responsabilité internationale et, à ce titre, doit prendre sans autre délai les mesures nécessaires en vue de saisir ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale, s’il n’extrade pas M. HISSENE HABRE.

II. L’INTERET DE L’ARRET DE LA CIJ

L’arrêt rendu par la CIJ en l’affaire en objet est d’un grand intérêt pour la compréhension de certaines dispositions essentielles de la convention contre la torture. Il en est ainsi du paragraphe 1 de l’article 7 de ladite convention, lequel dispose que « l’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ». Ces dispositions, qui codifient l’obligation, très ancienne en droit international coutumier, de poursuivre ou d’extrader (aut dedere aut judicare), ont souvent donné lieu à des interprétations divergentes des Etats, comme l’a d’ailleurs attesté le différend entre la Belgique et le Sénégal. Aussi, l’arrêt rendu par la CIJ le 20 juillet 2012 a l’avantage de fixer le contenu de ce principe sur au moins trois de ses aspects :

- La nature et le sens de l’obligation de poursuivre ou d’extrader : la poursuite de la personne soupçonnée d’actes de torture est une obligation conventionnelle dont la violation engage la responsabilité pour fait illicite de l’Etat sur le territoire duquel elle se trouve, alors que l’extradition de la personne concernée demeure une simple option offerte à l’Etat.

- La portée temporelle de l’obligation de poursuivre ou d’extrader : cette obligation ne s’applique qu’aux faits survenus après l’entrée en vigueur de la convention pour l’Etat concerné.

- La mise en œuvre de l’obligation de poursuivre ou d’extrader : les aléas relatifs à des difficultés financières de l’Etat sur le territoire duquel se trouve la personne soupçonnée ou au traitement du cas de ce dernier devant d’autres instances (juridictionnelles ou non) ne peuvent ni affecter l’obligation qui incombe à l’Etat de poursuivre ou d’extrader, ni justifier des retards dans le respect de ses engagements conventionnels. Toutefois, précise la Cour, « le paragraphe 1 de l’article 7 de la convention ne contient aucune indication quant aux délais d’exécution de l’obligation qu’il prévoit, mais le texte implique nécessairement que celle-ci doit s’appliquer dans un délai raisonnable, de façon compatible avec l’objet et le but de la convention » (paragraphe 114 de l’arrêt).

Cet arrêt inspirera sans aucun doute les membres de la Commission du droit international (CDI) des Nations Unies, au moment où ceux-ci se penchent sur un projet d’articles relatif à l’obligation de poursuivre ou d’extrader.

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