Ubi societas ibi jus
La Charte africaine de la jeunesse a été adoptée par la septième session ordinaire de la conférence de l’Union Africaine le 2 juillet 2006 à Banjul (Gambie). C’est un traité au sens de l’article 2 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (en ce sens qu’il est obligatoire à l’égard des Etats signataires), composé d’un préambule et d’un dispositif de 31 articles. Le dispositif comporte deux parties dont la première (articles 1er à 28) porte sur les droits et devoirs tandis que la seconde (articles 29 à 31) porte sur les dispositions finales.
Ce qu’il faut souligner d’emblée c’est que l’un des mérites de ce texte est de procéder à une identification claire de la catégorie sociale générationnelle qu’est la jeunesse qui renvoie, non pas aux personnes âgées de 7 à 77 ans comme on le dit souvent de façon simpliste, mais « signifie toute personne âgée de 15 à 35 ans » (préambule in fine). Le jeune se distingue donc du mineur dont le soin de la détermination est laissée à la discrétion de chaque Etat partie (au Cameroun, on distingue la minorité civile [moins de 21 ans], de la minorité électorale [moins de 20 ans] et de la minorité pénale [moins de 18 ans]) et de l’enfant, que la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 considère comme « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable » (article 1er). Cette perception de l’enfant est reprise par la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (article 2) de 1990.
Sur le fond, la Charte africaine de la jeunesse, il faut le dire, n’est pas un texte révolutionnaire. « Certes convaincus que la plus grande richesse de l’Afrique est la jeunesse de sa population, et que par la participation pleine et active de celle-ci, les Africains peuvent surmonter les difficultés auxquelles ils sont confrontés » (préambule de la Charte), les plénipotentiaires africains ont entendu mettre sur pied un texte qui vise à assurer l’épanouissement des jeunes africains au sein de la population globale, tout en mettant à la charge des Etats des « soft obligations » et en respectant le particularisme contextuel de l’Afrique.
Je voudrais donc m’appesantir exclusivement sur la première partie de ce texte (articles 1er à 28) afin de mettre en lumière les droits reconnus aux jeunes africains, mais aussi les obligations qui en découlent, y compris pour les autres acteurs concernés par ce texte.
Les droits reconnus par la Charte au profit des jeunes africains
A l’évidence des faits, un être ignorant de ses droits ne saurait en tirer profit. C’est un truisme de dire qu’on ne revendique pas ce qu’on ne connaît pas. Il s’agit donc ici de mettre en lumière les différentes prérogatives reconnues aux jeunes africains, et qu’ils auraient légitimement le droit de revendiquer. On va distinguer entre les droits reconnus à toute personne et que la Charte reprend au bénéfice des jeunes et les droits spécifiques consacrés au profit de cette catégorie sociale générationnelle.
Les droits reconnus à toute personne et repris au compte des jeunes par la Charte
Je ne serai pas exhaustif dans cette partie et je me contenterai de reprendre les droits consacrés, dans la mesure où, en réalité, il ne s’agit pas d’une grande nouveauté. Mais puisque, semble-t-il, la répétition est la mère des sciences, il n’est pas superflu de les rappeler.
A cet effet, la Charte renforce au bénéfice des jeunes, le droit à la non discrimination (article 2), à la liberté de circulation (article 3), à la liberté d’expression, en particulier « tout jeune a le droit d’exprimer librement ses idées et ses opinions relatives à tous les sujets et de diffuser ses idées et ses opinions, sous réserve des restrictions prévues par la loi » (article 4), à la liberté d’association (article 5), à la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 6), à la protection de sa vie privée (article 7), à la protection de sa famille (article 8), à la propriété (article 9), au développement (article 10), à la participation (article 11), à des moyens de subsistance durables et à l’emploi (article 15), à la santé (article 16), à la paix et à la sécurité (article 17), à l’application de la loi (article 18), au développement durable et à la protection de l’environnement (article 19), à une culture qui protège les valeurs morales et traditionnelles reconnues par la communauté, de même qu’un savoir fondé sur les NTIC (article 20), le droit de vivre partout dans le monde, y compris de constituer une diaspora (article 21), à des loisirs, activités socio-éducatives, sportives et culturelles (article 22).
Cet ensemble de droits, nous l’avons déjà dit, sont reconnus à toute personne humaine, la Charte s’est donc contentée de les réitérer au profit des jeunes africains, mais elle en a également consacré d’autres de façon spécifique.
Les droits spécifiques reconnus aux jeunes africains par la Charte
Parce que la Charte africaine de la jeunesse est un texte spécifique et que les jeunes constituent une catégorie sociale spécifique au sein de la société, il était de bon ton qu’elle leur consacre des droits qui tiennent compte de cette double spécificité. C’est cela l’apport majeur de ce texte dans le droit international africain, mais également dans le contexte socio-politique des Etats africains. A ce titre, la Charte, d’emblée, consacre le droit à une politique nationale pour les jeunes, dont « l’élaboration devra se fonder sur une consultation massive des jeunes et devra prévoir la participation active de tous ces derniers à tous les niveaux de prise de décision et de gouvernance relatives aux sujets qui concerne la jeunesse et la société en général » (article 12). Voilà une disposition fort intéressante dans laquelle s’inscrit certainement la création au Cameroun du Conseil national de la Jeunesse. Mais à quand des ministres « jeunes » (« jeunes » au sens de la Charte), principalement dans les départements qui s’occupent des problèmes particuliers de cette catégorie sociale ou des quotas pour jeunes dans les assemblées représentatives (parlement, conseils municipaux par exemple) ? Je pense que ce serait le moyen le plus approprié et le plus efficace de faire participer les jeunes à la prise des décisions qui les concernent.
En outre, la Charte reconnaît aux jeunes africains le droit au développement de l’enseignement et des compétences, incluant le droit à une éducation de bonne qualité qui « favorise la pensée critique plutôt qu’un bourrage d’esprit » (article 13.4.i), l’incitation à la recherche (article 13.6) et l’établissement de partenariats entre les entreprises implantées sur le sol africain et les structures de formation afin de contribuer au transfert de technologies qui devrait profiter aux jeunes étudiants et chercheurs africains (article 13.7).
Enfin, la Charte consacre une protection particulière pour les filles et les jeunes femmes contre la discrimination à l’éducation, à l’emploi, à la santé, et contre toutes formes de violence (article 23), une protection particulière pour les jeunes ayant des besoins spécifiques, notamment les jeunes handicapés mentaux et physiques (article 24) et le droit à l’élimination des pratiques sociales et culturelles néfastes, à savoir les us et coutumes qui affectent la santé, la vie ou la dignité des jeunes, les us et coutumes inégalitaires envers les jeunes se basant sur la différence des sexes, de l’âge ou d’autres critères (article 25). En quelques mots, autant le respect des aînés reste une obligation fondamentale des jeunes comme nous le verrons plus loin, autant les pratiques rétrogrades du « sexisme » et du « grand-frérisme » qui si souvent ont causé du tort à l’Afrique en général et aux jeunes en particulier sont condamnées.
Les obligations découlant de la Charte
La Charte africaine n’énumère pas uniquement des droits au profit des jeunes, elle comprend également des obligations qui concernent autant les jeunes eux-mêmes que les Etats et la Commission de l’Union Africaine.
Les responsabilités des jeunes africains au titre de la Charte
Conformément à l’article 26 de la Charte, le jeune a des devoirs envers sa famille, la société, l’Etat et la communauté internationale. Ce qui inclut, entre autres, de « respecter ses parents et les personnes âgées et les assister en cas de besoin dans le contexte des valeurs positives africaines (…) ; prendre pleinement part aux devoirs du citoyen y compris le vote, la prise de décision et la gouvernance (…) ; s’engager dans des activités de volontariat et de bénévolat (…) ; adopter une éthique de travail intègre et ne pas s’adonner à la corruption (…) ; promouvoir le patriotisme, l’unité et la cohésion de l’Afrique (…) ; protéger l’environnement et conserver la nature ». Pour moi, cela va de soi car si les jeunes veulent être des acteurs fiables et à part entière de la société, avec des droits qu’ils peuvent légitimement revendiquer, ils doivent également se distinguer par leur exemplarité et surtout pouvoir se montrer comme des personnes à qui l’on peut légitimement et objectivement faire confiance. Le respect de ces quelques obligations, qui ne sont qu’indicatives, y contribuerait grandement.
Les devoirs de l’Etat en vertu de la Charte
Il n’est pas superflu de rappeler que tous les droits consacrés par la Charte au profit des jeunes, sous réserve de ce que l’un quelconque des Etats qui a ratifié ou adhéré à la Charte ait émis des réserves, constituent des obligations pour celui-ci. Toutefois, de façon plus globale, « les Etats parties s’engagent à prendre les mesures nécessaires, conformément au processus constitutionnel et conformément aux dispositions de la présente Charte pour adopter les mesures législatives et les autres mesures requises pour appliquer les dispositions de la Charte » (article 1er). Au Cameroun par exemple, nous pensons donc qu’une fois que la Charte aura été ratifiée (un projet de loi autorisant le Président de la république à ratifier cette Charte a été soumis à l’Assemblée Nationale lors de sa troisième session ordinaire de l’année 2010), il serait logique qu’un débat soit ouvert sur une loi nationale relative à la jeunesse, ceci en vue de renforcer le dispositif normatif d’encadrement de la catégorie jeune.
En outre, les Etats s’engagent à vulgariser la Charte, notamment à promouvoir et assurer son enseignement, son éducation et sa publication (article 27). C’est également à ce prix que la Charte, mais surtout les droits et obligations qui y sont consacrés passeront de la fiction à la réalité et du vœu pieux à une effectivité que nous souhaitons vivement.
L’obligation de la Commission de l’Union Africaine
Cette obligation, bien que formulée à l’égard de la Commission de l’Union Africaine (article 28), interpelle également au premier chef les Etats. Il s’agit pour la Commission de veiller à ce que les Etats parties respectent les engagements et obligations stipulés par la Charte, notamment en enjoignant les Etats membres à inclure des représentants de la jeunesse, comme membres de leurs délégations aux sessions ordinaires de l’Union Africaine et autres réunions pertinentes des organes politiques. La question que l’on peut toutefois se poser est celle de savoir les mesures que peut prendre la Commission en cas de non-respect de tels engagements par les Etats. Cela reste un mystère qui, en réalité fragilise tout l’édifice juridique de la Charte et dont l’efficacité dépendra finalement et essentiellement du sens de l’initiative que pourront avoir les membres de la Commission à un moment donné, mais surtout du bon vouloir des Etats, si non de la capacité d’action et de revendication des principaux bénéficiaires de ce texte, à savoir les jeunes eux-mêmes.
En conclusion, l’ordre juridique africain a été enrichi par un nouvel instrument destiné à assurer l’affirmation des jeunes ; il s’agit de la Charte africaine de la jeunesse du 2 juillet 2006. Il revient à présent à ces deniers de s’en approprier et d’en faire un outil au service de leur épanouissement. Toutefois, afin de pouvoir en tirer un meilleur profit, les jeunes doivent progressivement et continuellement se regrouper et s’organiser afin de passer du stade de simple strate sociale à celui de classe sociale, au sens marxiste du terme, c’es-à-dire une catégorie sociale consciente d’elle-même, de son identité, de son potentiel, de ses besoins et de ses intérêts.