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Ubi societas ibi jus

La Cour pénale internationale : une nouvelle forme d'impérialisme judiciaire ?

La justice pénale internationale a été enrichie par une actualité relativement récente, à savoir le lancement par la chambre préliminaire de la Cour Pénale Internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt international contre le Président soudanais Omar Hassan El Beshir le 4 mars 2009. Cette dernière actualité a conforté l’opinion d’une certaine catégorie d’observateurs africains, et même non africains, qui pensent que cette juridiction est un nouvel instrument dont s'est dotée l'Occident afin de déployer son néo-impérialisme sur le continent noir, ressuscitant ipso facto la thèse de la « mission civilisatrice ». Et, à regarder de près, une multitude d’arguments semblent bien militer en faveur d’une pareille lecture dans la mesure où les procédures actuellement en phase d'instruction ou de jugement devant la Cour sont dirigées exclusivement contre des hommes d’Etat africains, un doigt accusateur étant particulièrement dirigé contre les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne qui accompliraient leur basse besogne sous le manteau du très controversé Conseil de Sécurité des Nations Unies. Un tel constat, au demeurant superficiel, partiel et partial dans la lecture et l’analyse des activités de la juridiction de La Haye, est-il pour autant suffisant pour conclure à une cabale contre nos responsables et anciens responsables politiques ?

En réalité, je pense qu’il est important de revisiter la mécanique de déploiement de la Cour, tant d'un point de vue institutionnel que fonctionnel, au besoin en recourant au droit comparé, afin d’y porter un jugement beaucoup plus objectif. J’aimerais, pour cela, m’attarder sur deux points particuliers : les acteurs investis du droit de saisir la Cour et les pouvoirs particuliers du Conseil de Sécurité des Nations Unies en matière de procédure devant la CPI.

A propos des acteurs investis du droit de saisir la Cour

Il faut partir ici de ce que parmi les acteurs investis du droit de saisir la Cour, figurent les Etats parties, le Conseil de Sécurité des Nations Unies et le Procureur. Le droit ainsi reconnu aux Etats de déposer une requête auprès de la juridiction internationale répressive se situe dans l’hypothèse où, estimant que des crimes relevant de la compétence de la Cour ont été commis sur leur territoire, ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour les poursuivre et en assurer la correcte sanction. C'est ce droit de saisine qu'ont exercé, en toute liberté et en toute souveraineté, des Etats comme la République Démocratique du Congo (dans les affaires Thomas Lubanga Dyilo, Germain Katanta, Mathieu Gudjolo, Bosco Ntangata), la République Centrafricaine (affaire Jean-Pierre Bemba) ou même l'Ouganda (affaire Joseph Kony, Vincent Otti, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen) qui, eux-memes, ont saisi la CPI pour qu’elle connaisse des situations qui se sont déroulées sur leurs territoires.

Seul le cas soudanais est donc exceptionnel, avec les mandats d’arrêt internationaux lancés par la Cour en premier lieu contre Ahmad Muhammad Harun ("Ahmad Harun") et Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman ("Ali Kushayb"), et ensuite contre le Président El Beshir, car relevant d’une initiative du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui, en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies (actions en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression) et de l’article 13 § b du Statut de Rome, a demandé au Procureur d’enquêter sur la situation au Darfour.

Comment donc incriminer ce fantomatique Occident – la fameuse et finalement ennuyeuse théorie du complot – dès lors que les africains sont, eux-mêmes, les initiateurs des procédures majoritairement en étude devant la CPI ? Si instrumentalisation il y avait, ne seraient-ce pas plutôt des manœuvres proprement africaines destinées à mettre hors course des adversaires...militairement ou politiquement redoutables. Une telle conclusion, de mon point de vue, serait tout aussi excessive car nierait les exactions réelles qui sont perpétrées dans les régions concernées, et pour lesquelles justice doit être rendue. Et, de fait, la Cour n’ayant qu’une compétence complémentaire des juridictions nationales, elle ne peut intervenir que parce que l’Etat lui-même l’a sollicitée, ou alors parce que celui-ci s’est abstenu de juger des crimes graves commis sur son territoire. Que les africains jugent donc eux-mêmes leurs criminels et la Cour ira chasser ailleurs – ou alors fermera tout simplement ses portes, si ça peut rassurer quelques uns –, est-on tenté de conclure sur ce point.

Et, de mon point de vue, l’argument selon lequel des crimes internationaux sont également commis en Afghanistan, en Irak ou ailleurs manque de pertinence et relève davantage d’un discours passionnel, malheureusement dépourvu de considérations compassionnelles. L’existence de telles exactions dans d’autres portions géographiques de la planète n’exonère pas de leurs responsabilités les africains auteurs de crimes graves relevant de la compétence de la CPI et ne devrait pas priver les victimes du droit légitime à la réparation ; dans tous les cas – et fort heureusement – un principe d’exonération de responsabilité pour cause de crimes également commis ailleurs et restés impunis n’a pas encore été consacré par le droit international positif.

A propos des pouvoirs particuliers du Conseil de Sécurité des Nations Unies en matière de procédure devant la CPI

Sur les pouvoirs particuliers du Conseil de Sécurité en matière de procédure devant la Cour, la critique formulée se résume fondamentalement à ceci : de tels pouvoirs constituent une intrusion malsaine du politique dans la mécanique judiciaire et un verrou supplémentaire offert aux grandes puissances qui en assurent le contrôle. Deux axes d’analyse peuvent etre retenus ici afin de démonter un tel raisonnement. Il s’agira pour nous de nous attarder d’une part sur la faculté pour le Conseil de Sécurité de déférer au Procureur des situations dans lesquelles des crimes internationaux ont été commis, conformément à l’article 13 § b du Statut de Rome et, d’autre part, le pouvoir qu’a cet organe des Nations Unies de suspendre des enquêtes ou des poursuites déjà entamées, conformément à l’article 16 du même texte.

Le droit de saisine du Procureur par le Conseil de Sécurité n’est en réalité qu’un continuum de la charte des Nations Unies, car s’inscrivant au titre du chapitre VII du texte de San Francisco qui confère à cet organe le pouvoir d’engager toute action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d’acte d’agression. Dès lors, la saisine du Procureur devient donc un pouvoir discrétionnaire du Conseil de Sécurité, qui a la liberté de déterminer, entre plusieurs moyens mis à sa diposition pour mettre fin à une situation de tension ou de crise, lequel choisir. Ceci permet donc de balayer d’un revers de la main la plainte de ceux qui reprochent à la Cour de poursuivre dans certains cas et de rester indifférente dans d’autres, dans la mesure où l’initiative étant ici celle du Conseil de Sécurité, celui-ci a la lattitude de prendre d’autres mesures qu’il juge davantage pertinentes dans ces autres cas.

En ce qui concerne le pouvoir du Conseil de Sécurité de suspendre des enquêtes ou poursuites entamées par le Procureur, il constitue pour beaucoup une potentielle entrave politique au déploiement de la justice pénale internationale, un moyen dont pourrait user les membres du Conseil de Sécurité afin d’assurer l’impunité à leurs thuriféraires. Une telle lecture est possible et une pareille crainte relève du champ du réel, il faut l’admettre ; mais elle ne doit pas être invoquée de façon systématique et, en fin de compte, de façon simpliste, comme s’il s’agissait de la raison ayant motivé l’introduction de l’article 16 dans le dispositif du Statut de Rome. Je pense que la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales qui incombe au Conseil de Sécurité et qui fonde ce droit d’immixtion est suffisante pour le justifier. En effet, je crois pour ma part qu’un entêtement judiciaire parfois peut constituer plus de mal à la paix qu’un compromis politique bien ficelé, au regard des rapports de force qui très souvent prévalent sur le terrain des affrontements. A quoi cela sert-il par exemple de s’acharner contre le Président Omar El-Beshir (pour ne prendre que ce cas, sous réserve d’une maitrise exacte des réalités du terrain), lorsque l’on sait que c’est lui qui détient l’essentiel des leviers d’une normalisation de la situation au Darfour ? L’arrestation – au demeurant hypothétique – de cet individu, fut-il le commanditaire réel ou supposé des crimes perpétrés dans cette région, vaut-elle des pertes continuelles en vies humaines ? A cette question, chacun a certainement sa réponse.

Que dire d'ailleurs du droit national, du moins dans les systèmes d’inspiration romano-germanique, qui reconnaît au ministre de la justice, organe par essence de l’appareil politique, le pouvoir discrétionnaire d'interrompre – et pas tout simplement de suspendre, comme c’est le cas devant la CPI – les poursuites initiées par le parquet, en vertu du principe de subordination et de l’opportunité de poursuite qui lui est reconnu ? Une pareille intrusion jusque là n’a jamais véritablement été considérée comme un empêchement dirimant au déploiement de la justice pénale à l’échelle nationale à ma connaissance.

En somme, il ne s'agit pas pour moi de dédouaner la justice pénale internationale dont des carences et insuffisances peuvent être décelées ; elle n'est certainement pas parfaite, mais elle n'est pas aussi diligentée et aussi téléguidée comme on voudrait bien nous le faire croire. Ce qu'il y a lieu de faire, à mon sens, au lieu de continuer à tirer à boulets rouges sur une justice qui cherche ses marques dans une société internationale pour l’essentiel encore structurée par la dimension relationnelle et travaillée par les rapports de puissance, c’est d’orienter le débat sur les moyens de l’affiner, de la rendre plus perméable aux souverainetés étatiques, sans ignorer l'indissociabilité qu'il y a, sur le plan international, entre le droit et la politique. En bref, il s'agit de renouveler le discours critique sur la CPI.

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C
<br /> comment peut-on ce saisi du tribunal pénal internetional en contre le génocide chrétiens de plusieurs pays et les diverses persécutions à leurs encontres ?<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Bonsoir Chryss38,<br /> <br /> <br /> j'imagine bien que tu veux parler de la Cour pénale internationale,dans ce cas trois possibilités se présentent essentiellement: soit les Etats où les chrétiens sont victimes saisissent la<br /> Cour,soit la Cour est saisie par le Conseil de Sécurité des nations Unies ou le Procureur de la Cour.Toujours est-il qu'il faudra établir que les crimes qui sont commis relèvent la compétence de<br /> cette Cour.Contraiement à ce que vous dites,je ne pense pas qu'on puisse parler de génocide contre les chrétiens.Mais puisque tous nous sommes d'accord que des crimes sont commis contre les<br /> membres de ce groupe religieux,il appartient tout simplement à la justice de ces pays de juger les auteurs de tels crimes.<br /> <br /> <br /> <br />