Ubi societas ibi jus
Cette réflexion peu ordinaire, puisqu’elle ne traite pas de droit comme il est d’usage dans ce blog, a été un peu imposée par le contexte, celui de la commémoration de la mort de ce leader historique et charismatique africain, orateur hors pair, THOMAS SANKARA, qui a consacré son existence à ses idées et à ses convictions. 25 ans après son tragique décès (le 15 octobre 1987), je voudrais personnellement lui rendre hommage en mettant en lumière un florilège de ses discours qui, à n’en point douter, sont encore d’une actualité saisissante.
THOMAS SANKARA est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta (actuel Burkina Faso). Au-delà de son statut de militaire (Capitaine d’armée) et d’homme politique (Secrétaire d’Etat à l’information, Premier Ministre puis Chef de l’Etat), il fut un panafricaniste, un pacifiste, un humanisme, un altermondialiste, un féministe, un écologiste, mais surtout un révolutionnaire.
Voici ce qu’il a dit :
« Les ennemis du peuple, ce sont encore les hommes politiques qui ne parcourent la campagne que lorsqu’il y a des élections (…) Est-ce que vous êtes d’accord que nous maintenions dans notre administration des fonctionnaires pourris ? Est-ce que vous êtes d’accord que nous maintenions dans notre armée des militaires pourris ? Alors il faut les chasser. Nous les chasserons. Cela va nous coûter la vie peut-être, mais nous sommes là pour prendre des risques. Nous sommes là pour oser et vous êtes là pour continuer la lutte coûte que coûte (…) Lorsque vous allez à l’hôpital pour une hémorragie ou une fracture, même si vous êtes sur le point de tomber en syncope, on préfère vous laisser sans soins et s’occuper du rhume d’un président, d’un premier ministre ou d’un ministre, simplement parce que vous êtes hommes du peuple, ouvrier. Il faut dénoncer tout cela chaque jour » (Qui sont les ennemis du peuple – discours du 26 mars 1983).
« Et ce n’est pas un acte de charité ou un élan d’humanisme que de parler de l’émancipation de la femme. C’est une nécessité fondamentale pour le triomphe de la révolution. Les femmes portent sur elles l’autre moitié du ciel (…) Ce n’est pas non plus l’acquisition de diplômes qui rendra la femme égale à l’homme ou plus émancipée. Le diplôme n’est pas un laissez-passer pour l’émancipation. La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui responsabilise la femme, qui l’associe aux activités productives, aux différents combats auxquels est confronté le peuple. La vraie émancipation de la femme c’est celle qui force le respect et la considération de l’homme. L’émancipation tout comme la liberté ne s’octroie pas, elle se conquiert. Et il incombe aux femmes elles-mêmes d’avancer leurs revendications et de se mobiliser pour les faire aboutir »(Discours d’orientation politique – 2 octobre 1983)
« Nous proposons également que les structures des Nations Unies soient repensées et que soit mis fin à ce scandale que constitue le droit de veto. Bien sûr, les effets pervers de son usage abusif sont atténués par la vigilance de certains de ses détenteurs. Cependant, rien ne justifie ce droit : ni la taille des pays qui le détiennent ni les richesses de ces derniers (…) L’absence de l’Afrique du Club de ceux qui détiennent le droit de veto est une injustice qui doit cesser (…) Sans formation patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance (…) Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre vingt années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus là. Pas de développement en dehors de cette rupture (La liberté se conquiert – discours aux Nations Unies le 4 octobre 1984)
« Nous ne sommes pas contre le progrès, mais nous souhaitons que le progrès ne soit pas anarchique et criminellement oublieux des droits des autres. Nous voulons donc affirmer que la lutte contre la désertification est une lutte pour l’équilibre entre l’homme, la nature et la société. A ce titre, elle est avant tout une lutte politique et non une fatalité » (Sauver l’arbre, l’environnement et la vie tout court – discours du 5 février 1986).
« Monsieur le président : combien sont-ils les chefs d’Etat qui sont ici présents alors qu’ils sont dûment appelés à venir parler de l’Afrique en Afrique ? Monsieur le président : combien de chefs d’Etats sont prêts à bondir à Paris, à Londres, à Washington lorsque là-bas on les appelle en réunion mais ne peuvent pas venir en réunion ici à Addis-Abeba en Afrique ? Ceci est très important (…) Il est normal que nous ayons aussi notre club et notre groupe. Faisons en sorte que dès aujourd’hui Addis-Abeba devienne également le siège, le centre d’ou partira le souffle nouveau du Club d’Addis-Abeba contre la dette ». (La dette – discours au Sommet de l’OUA le 29 juillet 1987).
« Pour la société nouvelle, il nous faut un peuple nouveau, un peuple avec son identité propre, un peuple qui sait ce qu’il veut, qui sait s’imposer et qui sait ce qu’il faut pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé (…) La Révolution démocratique et populaire a besoin d’un peuple de convaincus et non d’un peuple de vaincus, d’un peuple de convaincus et non d’un peuple de soumis qui subissent leur destin (…) Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu’il n’y a pas d’écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui, le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité. Il faut, avant qu’il ne soit trop tard, car il est déjà trop tard, que ces élites, ces hommes de l’Afrique, du Tiers Monde, reviennent à eux-mêmes, c’est-à-dire à leur société, à la misère dont nous avons hérité pour comprendre non seulement que la bataille pour une pensée au service des masses déshéritées n’est pas vaine, mais qu’ils peuvent devenir crédibles sur le plan international, qu’en inventant réellement, c’est-à-dire, en donnant de leurs peuples une image fidèle. Une image qui leur permette de réaliser des changements profonds de la situation sociale et politique, susceptibles de nous arracher à la domination et à l’exploitation étrangères qui livrent nos Etats à la seule perspective de la faillite (…) l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère et nous en appelons à toutes nos sœurs de toutes les races pour qu’elles montent à l’assaut pour la conquête de leurs droits » (Avec le peuple – discours du 4 août 1987)
« C’est vrai, on ne tue pas les idées. Les idées ne meurent pas. C’est pourquoi Che Guevara, qui était un concentré d’idées révolutionnaires et de don de soi, n’est pas mort parce qu’aujourd’hui vous êtes venus [de Cuba] et nous nous inspirons de vous (…) Je voudrais dire : qu’est-ce que le Che ? Le Che pour nous, c’est d’abord la force de conviction, la conviction révolutionnaire, la foi révolutionnaire dans ce que tu fais, la conviction que la victoire nous appartient, que la lutte est notre recours (…) C’est pourquoi conviction, humanisme, exigence font de lui le Che. Et ceux qui savent rassembler en eux ces vertus, ceux qui savent rassembler en eux ces qualités, cette conviction, cet humanisme et cette exigence peuvent dire qu’ils sont comme le Che : des hommes parmi les hommes, mais surtout des révolutionnaires parmi les révolutionnaires »(Discours d’hommage à Che Guevara).
Mon opinion est que THOMAS SANKARA fut un grand esprit, un intellectuel et un visionnaire. Je vous invite à lire ses discours, vous vous rendrez compte qu’ils sont d’une actualité surprenante et confirment véritablement qu’on ne tue pas les idées…