La présente réflexion met en rapport deux concepts principaux : il s’agit de celui de réforme et ce lui de Nations Unies. Il est important de mettre en évidence le sens et le contenu de ceux-ci afin d’avoir une excellente maîtrise des enjeux de la présente réflexion. Par réforme, on entend un « changement en vue d’une amélioration ». En effet, réformer c’est « changer en mieux, corriger ». Cette définition du terme réforme nous permet de tirer un premier constat : on ne peut parler de réforme qu’après avoir fait le constat de l’échec, ou tout au moins des insuffisances d’une institution. C’est sur la base de ce constat d’échec que s’impose le souci de l’amélioration, c’est-à-dire en d’autres termes de la réforme. S’agissant en particulier des Nations Unies, le débat n’est plus sur le fait de savoir s’il faut réformer les Nations Unies, non ! Ce débat est dépassé aujourd’hui, il s’agit surtout de s’appesantir sur les raisons qui peuvent justifier une réforme et comment on peut y procéder.
S’agissant des Nations Unies, le terme peut être appréhendé sous un double prisme : d’abord sous un prisme minimaliste, c’est-à-dire dans un sens restreint. A cet effet, les Nations Unies renvoient alors précisément à l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui est une organisation créée par la Charte de San Francisco du 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre 1945. Conformément à l’article 7 de la Charte de l’Organisation, celle-ci comprend des organes principaux (au nombre de six) et des organes subsidiaires qui sont des organes créés par les organes principaux (c’est le cas par exemple du PNUD, du PNUE, de l’UNICEF, de la CNUCED, etc.).
Ensuite, le terme Nations Unies peut être appréhendé sous le prisme maximaliste, c’est-à-dire dans un sens large. Ici, les Nations Unies désignent alors ce que l’on nomme le système des Nations Unies. Il y a une nette différence entre organisation des Nations Unies et système des Nations Unies. Alors que l’ONU est une organisation internationale à part entière, le système des Nations Unies désigne l’ensemble constitué par l’ONU et les institutions spécialisées des Nations Unies, c’est-à-dire un ensemble d’organisations internationales à part entière, mais qui ont décidé d’harmoniser leurs actions avec l’ONU dans le cadre du système des Nations Unies (c’est le cas par exemple de l’OIT, de l’UNESCO, du FMI, de la Banque mondiale, etc.). Une telle harmonisation entre les activités de l’ONU et celles des institutions spécialisées est assurée par le Conseil économique et social des Nations Unies. En effet, conformément à l’article 63 de la Charte des Nations Unies, « le Conseil économique et social peut conclure avec toute institution [spécialisée] des accords fixant les conditions dans lesquelles cette institution sera reliée à l’Organisation (…) Il peut coordonner l’activité des institutions spécialisées en se concertant avec elles, en leur adressant des recommandations, ainsi qu’en adressant des recommandations à l’Assemblée générale et aux Membres des Nations Unies ».
Ces précisions étant faites, il nous semble plus pertinent de retenir ici le terme de Nations Unies dans son acception large, c’est-à-dire en tant que système des Nations Unies et ne pas se limiter exclusivement à l’ONU, dans la mesure où seule une action concertée entre l’ONU et les institutions spécialisées peut garantir l’effectivité des missions des Nations Unies.
Dès lors, la présentation qui va suivre s’articulera autour de deux principales questions qui en inspireront l’ossature : pourquoi réformer les Nations Unies ? Comment réformer les Nations Unies ? A ces deux questions nous apporterons bien évidemment une double réponse. Dans un premier moment nous montrerons les faiblesses des Nations Unies qui, de ce point de vue, justifient la réforme (I) et dans un second moment nous nous attarderons sur les voies ou les axes d’une réforme des NU afin d’en garantir l’efficacité (II).
Les faiblesses des Nations Unies comme facteur justificatif de la réforme
Il s’agit ici de répondre à la question : pourquoi réformer les Nations Unies ? La réponse est simple : parce que celles-ci n’ont pas pu atteindre les buts qu’elles se sont assignées dans la Charte des Nations Unies. En effet, l’efficacité d’une organisation s’apprécie par rapport aux buts qu’elle s’est assignée. Et, conformément à l’article 1er de la Charte, les buts des Nations Unies sont les suivants : « maintenir la paix et la sécurité internationales (…) ; développer entre les nations des relations amicales (…) ; réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire (…) ; être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes ».
Ainsi, s’agissant du maintien de la paix et de la sécurité internationales, en dépit de ce que les Nations Unies ont pu éviter la survenance d’une nouvelle guerre mondiale, ce serait un leurre, une utopie, une vue de l’esprit que de dire que le monde est en paix et en sécurité. Les menaces sont nombreuses et on recense encore des tensions et des conflits dans la majorité des continents (en Afrique : Somalie, Soudan ; en Asie : Palestine, Afghanistan, Irak ; en Europe : Russie avec la question de la Tchétchénie). Or, les interventions onusiennes, soit elles se sont traduites par une faible réaction (Tchétchénie, Darfour), soit par une relative indifférence (Rwanda). Une telle conclusion est tout simplement le reflet du caractère inachevé du travail des Nations Unies.
S’agissant de la résolution des problèmes d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, on observe encore d’importantes disparités, inégalités, entre Etats de la planète (entre Etats développés et sous développés, Pays émergents, pays à revenus intermédiaires, pays les moins avancés) tandis que les violations des droits de l’homme restent nombreuses (Birmanie, Irak, Soudan, etc.). Les Nations Unies jusque là n’ont pas pu réduire l’écart entre pays développés et pays en développement, au contraire on serait tenté de dire que cet écart s’est accru. Il s’accroît même également à l’intérieur des Etats.
Enfin, alors que les Nations Unies doivent être un centre où s’harmonisent les efforts des Etats vers ces fins communes, il est loisible de relever aujourd’hui l’émergence de pôles de concurrence aux Nations Unies : c’est le cas en matière de maintien de la paix et de la sécurité avec la création de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord : traité signé le 9 avril 1949 en période guerre froide afin de contenir la menace communiste en Europe. Elle regroupe aujourd’hui 28 Etats) et dont les interventions sont nombreuses, notamment à l’occasion de la guerre du Kosovo en 1999 et aujourd’hui elle est présente en Afghanistan pour accomplir des missions originellement confiées au Conseil de sécurité des Nations Unies.
C’est le cas également en matière de régulation internationale des questions monétaires et financières, où le FMI et la Banque mondiale, institutions spécialisées des Nations Unies en charge de ces aspects, sont concurrencés par le G8 et le G20, qui sont des organisations informelles et dont la composition est de toute évidence discriminatoire.
C’est donc au regard de cet ensemble d’insuffisances que nous envisagerons des axes d’une réforme.
Les axes d’une réforme : conditions de l’efficacité des Nations Unies
Il s’agit ici de répondre à la question comment réformer les Nations Unies ? Avant de répondre à cette question, il ne serait pas superflu de rappeler que le débat sur la réforme des Nations Unies ne date pas d’aujourd’hui. En effet, depuis le début des années 1960 et l’accès à l’indépendance d’un certain nombre d’Etats africains, la question se posait déjà. Il fallait alors adapter le système afin de prendre en compte la donne des nouveaux Etats qui venaient d’accéder à l’indépendance. Un ensemble de réformes ont donc été initiées et qui ont affecté les structures, les normes, les programmes, les procédures et les mécanismes de décision au sein des Nations Unies. On peut ainsi relever l’amendement de l’article 23 de la Charte, qui a porté le nombre des membres du Conseil de sécurité de 11 à 15 afin d’augmenter le nombre d’Etats africains ou encore l’amendement de l’article 61 qui fait passer le nombre des membres du Conseil économique et social de 18 à 27 puis de 27 à 54. On peut également citer la création par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) et du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en vue d’accorder un intérêt supplémentaire à la problématique du développement des pays du Sud.
Toutefois, si des réformes ont déjà été entreprises, elles ont eu un relatif succès et méritent d’être poursuivies. C’est dans ce sens que s’inscrit la présente contribution. Dans ce sens, de nombreuses propositions ont été faites ; nous ne nous en tiendrons qu’à celles qui, de notre point de vue, sont essentielles et doivent être retenues. Elles portent autant sur les aspects opérationnels que sur les aspects de la gouvernance au sein des Nations Unies.
Les réformes au plan opérationnel
Elles concernent le maintien de la paix et de la sécurité internationales et la présence des Nations Unies sur le terrain.
En ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales, il s’agit ici de souligner la nécessaire réforme des opérations de maintien de la paix (OMP). Il s’agit donc de renforcer les capacités d’action des NU sur le terrain des conflits (qualité et quantité des effectifs), non seulement afin d’éviter des interventions sélectives, mais surtout qu’elles s’étendent systématiquement sur le terrain de la consolidation de la paix : organisation des élections, désarmement, protection des réfugiés, des populations civiles et assistance humanitaire.
En ce qui concerne la présence des Nations Unies sur le terrain, celle-ci doit être rationnalisée. En effet, dans un contexte de crise économique et de tensions budgétaires au sein des Nations Unies, dans un contexte où celles-ci sont essentiellement dépendantes des financements des Etats-Unis, il y a lieu de préconiser le regroupement de certaines organisations onusiennes dont les activités semblent concourir à la même finalité (cas de la FAO, du PAM en matière alimentaire ; de l’OMC, la CNUDCI et de la CNUCED en matière de commerce, etc.). Sur ce point, certains projets ont également proposé le regroupement de toutes les agences des Nations Unies dans des locaux communs sous la dénomination « Maison des Nations Unies » afin d’en simplifier la coordination des activités au sein des Etats.
Les réformes au plan de la gouvernance des Nations Unies
C’est d’abord la gouvernance institutionnelle. Il s’agit de revendiquer ici une plus grande représentativité des Etats au sein des organes et institutions des Nations Unies (Conseil de sécurité, FMI, Banque Mondiale par exemple) où certains continents, particulièrement le continent africain, sont marginalisés. En effet, point n’est besoin de rappeler que les institutions internationales, pour l’essentiel, sont encore le reflet des vestiges de la seconde guerre mondiale. Pour le Président Sarkozy qui a constamment défendu cette position, « on ne peut pas gouverner le monde d’aujourd’hui, celui du XXIème siècle avec les institutions du XXème siècle (…) élargir le Conseil de sécurité ce n’est pas qu’une question d’équité, c’est une question d’efficacité (…) Il faut faire en sorte que nos institutions internationales soient plus représentatives, parce que si elles sont plus représentatives, nos institutions seront plus fortes, plus efficaces et plus respectées ». (Discours AGNU de 2008). Cette position a été constamment reprise par le Chef de l’Etat du Cameroun dans ses postures de politique étrangère. Pour lui, dans son discours à l’AGNU 2009, « seule une ONU rénovée, plus démocratique, plus crédible et plus efficace continuera de focaliser les espoirs et la confiance des peuples ». Mais on peut également retrouver une position similaire lors de ses interventions à Africa 21 les 18-19 mai 2010, lors du Sommet Afrique-France des 31 mai-1er juin 2010, mais également à l’occasion de son discours à l’AGNU 2010.
C’est ensuite la gouvernance managériale. Il s’agit d’attendre des Nations Unies qu’elles disposent d’un personnel parmi les plus performants. Lorsqu’on lit l’article 101 § 3 de la Charte, « la considération dominante dans le recrutement et la fixation des conditions d’emploi du personnel doit être la nécessité d’assurer à l’Organisation les services de personnes possédant les plus hautes qualités de travail, de compétence et d’intégrité ». Ce qui n’a pas toujours été le cas. En effet, quand on s’intéresse au recrutement du personnel des Nations Unies, on constate que les Etats membres essaient à tout prix de placer leurs ressortissants, indépendamment de leur aptitude pour le poste à pourvoir. Comme le relevait d’ailleurs l’ancien Secrétaire général des Nations Unies M. Kofi Annan, « nous ne récoltons pas ce qu’il y a de meilleur. Les gouvernements ont tendance à nous envoyer les personnes qu’ils n’arrivent pas à caser ». Il s’agit donc ici de revendiquer une plus grande rigueur dans le recrutement du personnel, afin de doter les différentes institutions des personnels les plus performants, au regard des missions fondamentales qui sont celles des Nations Unies.
En conclusion, l’idée ici est de dire qu’une réforme peut contribuer à améliorer le fonctionnement des Nations Unies, mais elle n’en constitue pas une garantie systématique.
Tout d’abord, une réforme accélérée et mal conduite présente plus de risques que d’avantages pour la stabilité de la société internationale. Il s’agit d’éviter d’aboutir en fin de compte à une organisation fragile, du type SDN, qui n’a pas pu empêcher le déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit donc de dire qu’une réforme des Nations Unies ne doit pas faire abstraction des rapports de force qui structurent les relations internationales.
En outre, il convient d’avoir à l’esprit que d’autres facteurs peuvent expliquer l’inefficacité des Nations Unies. Il s’agit par exemple de l’absence de volonté politique des Etats eux-mêmes ; ce que Ghassan Salamé appelle le « paradoxe fondateur », c’est-à-dire des Etats qui créent des organisations et qui par la suite ne sont pas prêts à se conformer à ses exigences (collaboration avec l’organisation, respect de ses décisions) ou à lui doter des moyens nécessaires pour son fonctionnement efficace (versement des contributions financières, fourniture des troupes pour les OMP).
En fin de compte, si nous appelons de tous nos vœux une réforme des Nations Unies, celle-ci doit être menée de façon mesurée, en tenant compte des rapports de force qui structurent encore les relations internationales, si l’on veut parvenir à des institutions internationales plus efficaces.