La montée en puissance des droits de l'homme permet-elle de pacifier les relations internationales ?
Cette question m’a été posée par un ami. J’ai bien voulu partager avec vous la réponse qu’elle m’a inspirée. Pour cela j’ai situé la montée en puissance des droits de l’homme à la fin de la deuxième guerre mondiale. A partir de là, j’ai voulu montrer que si la volonté de pacifier les relations internationales est l’objectif « officiel » qui sous-tend la prise en compte des droits de l’homme dans les relations internationales, et dans une certaine mesure y contribue, elle n’en cache pas moins d’autres finalités aux relents géopolitiques inavoués.
La montée en puissance des droits de l’homme comme l’expression de la volonté de pacifier les relations internationales
C’est avec la fin de la deuxième guerre mondiale que la question des droits de l’homme devient une préoccupation majeure de la communauté des Etats. Cela tient pour l’essentiel aux violations massives des droits humains qui ont été perpétrées durant cette longue tragédie humaine, notamment avec le massacre des populations juives dans les camps de concentration allemands. Ainsi, à la suite de ce conflit mondial, l’ONU a été créée avec pour but de maintenir la paix et la sécurité internationales, mais aussi de développer et d’encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous. A partir de ce moment, la nouvelle organisation mondiale établit un lien étroit entre droits de l’homme et paix internationale. Le mouvement va se poursuivre avec l’adoption en cascade de textes protecteurs des droits humains, tant à l’échelle universelle que régionale, dans le souci de préserver la paix internationale. Lorsqu’on lit par exemple le préambule du pacte international relatif aux droits civils et politiques, il est clairement formulé que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Une pareille ambition peut se retrouver dans d’autres textes de même nature. Il est d’ailleurs anecdotique de rappeler que dans son message à l’occasion de la célébration de la journée des droits de l’homme le 10 décembre 2010, le Secrétaire général des Nations Unies M. Ban Ki-Moon affirmait que « les droits de l’homme sont l’assise même de la liberté, de la paix, du développement et de la justice ».
Cette posture volontariste se dégage également dans le discours officiel de politique étrangère de certains Etats. Ainsi en est-il de la France, autoproclamée patrie des droits de l’homme. Lors de son adresse à la tribune des Nations Unies en septembre 2008, le Président Sarkozy affirmait que « la dignité de l’homme est une valeur universelle. Ce qu’il nous faut promouvoir partout, c’est le respect de cette diversité. C’est comme cela que nous construirons la paix et la fraternité humaine et que nous combattrons l’intolérance, la haine, la violence, l’obscurantisme et le fanatisme ». Ce qui n’est pas sans dissimuler d’autres finalités.
La montée en puissance des droits de l’homme comme facteur de tensions et de conflits à l’échelle internationale
Cela tient d’abord à ce que l’objectif initial, si tant est qu’il a été noble au départ, est progressivement dévoyé par certains acteurs. Ainsi, les droits de l’homme semblent instrumentalisés par les politiques étrangères de certains Etats. Il en résulte des tensions vives entre Etats, dont certains y voient des actes d’ingérence inadmissibles dans leurs affaires intérieures (cas de la Chine, notamment suite à l’attribution du prix Nobel de la paix à l’écrivain Liu Xiaobo en 2010), voire des conflits comme le cas de la guerre en Irak, dont l’un des motifs invoqués par l’administration américaine a été le caractère anti-démocratique du régime de Saddam Hussein et les violations massives des droits de l’homme qui étaient perpétrées par celui-ci. C’est le cas aussi de toutes les tensions suscitées par l’action de la CPI alors que celle-ci a été mise sur pied pour lutter contre les violations des droits de l’homme (cas du mandat contre les Présidents Beshir du Soudan et Gbagbo de Côte d’Ivoire et tout le tintamarre qui s’en est suivi).
Cela tient ensuite à ce que les droits de l’homme ne sont pas uniformément perçus à l’échelle planétaire et l’idée qui se répand est celle d’une « civilisation dominante » désireuse d’imposer son modèle aux autres (cas de l’homosexualité qui est promue et de la polygamie qui est condamnée), d’où l’émergence également de tensions : c’est la fameuse dialectique « globalisation-fragmentation ». En même temps qu’on veut rassembler tous les humains sous la même bannière « droit de l’hommiste », en même temps ceux-ci se braquent et se rétractent, souvent par recours à la violence (c’est parfois le seul moyen qu’ils ont à leur disposition), parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans les valeurs qu’on veut leur imposer. La violence devient donc un moyen de préserver son identité et d’assurer sa survie : bref de préserver ce que l’on considère comme « ses droits de l’homme ».
En conclusion, la question reste en débat. Bien que l’ambition initiale était de faire des droits de l’homme un facteur de paix dans les relations internationales, il n’en demeure pas moins que tant que tous les humains n’auront pas une perception unique et uniforme desdits droits (ce qui au demeurant n'est pas possible), des tensions, des crises et même des conflits persisteront. Mais loin d’entretenir la flamme du pessimisme, on doit admettre qu’un consensus semble s’être dégagé sur certaines valeurs (interdiction de l’esclavage, de la torture, du génocide, etc.). Cet acquis là doit être capitalisé car il concourt à préserver un minimum de cette paix si chère dans les relations internationales contemporaines.