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4 novembre 2013 1 04 /11 /novembre /2013 08:34

Qu’est-ce qu’être juriste ? Tel est le défi scientifique auquel s’attaque le Professeur Alain Didier Olinga dans une récente publication à la thématique peu courante en droit. De nombreux « juristes » camerounais se sont en effet penchés sur la constitution camerounaise, d’autres sur la mise en œuvre du droit international au plan national ou sur le rôle du juge dans divers types de contentieux. D’importantes monographies produites par des « juristes » ont ausculté les problématiques les plus diverses relevant du droit civil, de la procédure pénale, du droit de l’environnement ou du droit commercial, etc. mais aucune étude d’envergure, jusque là, n’a traité, d’un point de vue herméneutique, du concept même de « juriste ». Qui doit-on considérer comme « juriste » ? L’étudiant en faculté de droit ? L’enseignant de droit ? Le professionnel du droit (magistrat, avocat, huissier, jurisconsulte, chef de la cellule ou de la division juridique d’une administration ou d’une entreprise, etc.) ?

Avec l’ouvrage du Professeur Olinga, Qu’est-ce qu’être juriste ? Eléments pour une dogmatique éthique, publiée en 2013 aux Editions CLE, la question s’enrichit d’une contribution pionnière dont l’originalité, la profondeur et la trame foncièrement axiologique sont la marque de fabrique de son auteur.

De la nécessité de remettre quelques pendules à l’heure

D’entrée de jeu, le sous-titre associé au titre principal de l’ouvrage (Eléments pour une dogmatique éthique) traduit l’option philosophique de la démarche, mais aussi la prise de position sans équivoque de son auteur. Oui, il s’agit bien d’une œuvre de philosophie juridique, non pas articulée sur le droit lui-même, mais sur les valeurs et finalités de celui-ci, et qui introduit le lecteur dans un champ de recherche en friche et peu fréquenté aussi bien des juristes que des philosophes de notre pays. Comme le souligne l’auteur lui-même à l’entame de son propos, l’urgence de cette œuvre, dont le projet certes est bien plus ancien, s’est faite pressante dans un contexte particulier de la vie sociopolitique du Cameroun où, au sujet de débats d’intérêt pour le pays, « délibérément ou involontairement, les possesseurs (réels ou autoproclamés) du savoir juridique ont été embarqués dans la mêlée et les controverses politiques (…) Le brouillage quant au statut des uns et des autres s’est avéré patent, la prise de parole ‘juridique’ étant fort peu distinguée de la prise de parole politique, militante ou idéologique ou tout simplement citoyenne » (p. 13). Cette réflexion contribue donc à lever un coin du voile qui continue de couvrir ce qui fait l’identité du juriste, en tant qu’acteur du champ social, dans un environnement où les tâches juridiques sont sans cesse croissantes et où tout le monde se croit juriste, mais également où les cloisons ont résolument tendance à s’affaisser et où l’on n’est plus seulement juriste.

L’ouvrage du Professeur Olinga, en tout état de cause, ne peut laisser aucun lecteur indifférent. Certes, l’approche philosophique, à certains égards, peut rendre quelques passages plus ou moins hermétiques mais, la thèse de l’auteur, elle, est suffisamment claire. En effet, même s’il est difficile d’aborder sous le même prisme toutes les catégories de juristes, ceux-ci devraient s’identifier, non seulement par un savoir-faire et un savoir-penser minimum commun en matière de droit, mais surtout, « en sus de ce savoir-faire, [le juriste] est celui qui a été saisi par la conscience de l’importance éthique de son savoir, en particulier à notre sens d’un savoir devant être résolument mis au service de la dignité de la personne humaine » (p. 30). C’est ce que le Professeur qualifie de « dogmatique éthique », laquelle doit être le trait caractéristique du juriste.

La « dogmatique éthique », trait caractéristique du juriste

La dogmatique éthique, en quelques mots, c’est l’heureuse conciliation entre la rigueur méthodologique du juriste et l’impératif humaniste qui doit l’animer. Cela, l’auteur le soutient et le démontre dans les trois grandes parties qui structurent son œuvre.

La première partie est intitulée « Le juriste, adepte d’un code méthodologique ». Ici, l’auteur montre que le juriste se caractérise en premier lieu par sa méthode, celle-là qui permet de le distinguer des autres acteurs s’investissant dans l’environnement social. En effet, « la connaissance du droit est d’abord une affaire de méthode, un mélange de savoir et de savoir-faire. Il faut savoir analyser, raisonner, interpréter, quel que soit l’ordre juridique ou le domaine matériel concerné » (p. 37). En cela, le juriste est d’abord quelqu’un qui maîtrise la norme (qu’elle soit d’origine textuelle, jurisprudentielle ou autre), car celle-ci est la base première de son travail. Mais, au risque d’apparaître comme un vulgaire « obsédé textuel » (p. 41) ou de sombrer dans le « juridisme » (p. 41), d’apparaître comme un banal « réciteur » (p. 59) faisant partie des simples « descripteurs du droit » (p. 90), la norme n’est pour lui que le point de départ de son raisonnement. En identifiant celle qui est la plus appropriée en fonction de la situation, il doit pouvoir l’interpréter, en dégager la charge significative dans un contexte particulier, ainsi que les enjeux qui la sous-tendent. Aussi note-t-il avec lucidité qu’ « on peut donc maîtriser le contenu substantiel de codes entiers, de piles de recueils de jurisprudence nationale, étrangère ou internationale, mais si l’on n’a pas la tournure d’esprit et de raisonnement que donnent la théorie et la dogmatique juridiques, l’on n’a pas d’éducation juridique, l’on n’est pas juriste » (p. 59). Mais ce n’est pas tout.

« Le juriste, serviteur d’une éthique humaniste » ; telle est la seconde partie de l’ouvrage. C’est ici que les convictions de l’auteur s’affichent de plus en plus et, l’on est même tenté de le dire, que son engagement s’affirme. Il assume la répudiation de la thèse kelséniène de la « théorie pure du droit », celle d’un droit qui serait aseptisé de toute considération politique ou axiologique, car produit d’ « une société parfaite » (p. 98), et dont le juriste n’en serait que le promoteur. Que non ! Dans la mesure où le droit à un moment donné peut devenir l’instrument d’une politique dangereuse d’asservissement des humains, l’éthique humaniste qui doit caractériser le juriste ne l’autorise pas à rester indifférent face à une telle dérive. C’est en ce sens que l’éminent Professeur « n’est clairement pas d’avis que critiquer la loi ou le droit soit une activité extérieure au métier de juriste ou, pire, nécessairement, ‘une opération politique’, que l’on mènerait en opérant un ‘abus de qualité de juriste’, en s’en prévalant pour dissimuler son engagement politique » (p. 73). Et d’ajouter : « Sauf ceux chez pour qui le travail sur le droit est dicté uniquement par le souci de valider des parcours académiques ou d’assurer sa promotion dans le corps de l’enseignement supérieur, sans autre ambition scientifique ou pratique particulière, il semble évident qu’il n’y a pas d’investissement dans le travail juridique savant sans choix éthique, axiologique, moral » (p. 75). En d’autres termes, en s’engageant dans le combat en faveur de l’humanisme et de la dignité humaine, le juriste n’est pas déchu de son statut ; il ne sort pas de son rôle mais, bien au contraire, son investissement social prend tout son sens et légitime son action.

« Plaidoyer pour une dogmatique éthique », troisième partie de l’ouvrage, apparaît in fine comme la plus riche contribution du Chef de Département de droit international de l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) dans la philosophie du droit. Et l’on ne peut que s’en réjouir, dans un contexte où la littérature camerounaise est peu friande de ce type de réflexions, lesquelles pourtant sont la matrice qui façonne l’état d’esprit des humains, quel que soit le champ de leur activité. La dogmatique éthique, certes, procède d’abord d’une démarche positiviste. Il s’agit pour le juriste de restituer d’abord l’état du droit positif, quelle que soit l’opinion qu’il pourrait s’en faire. Mais au-delà de ce récit, il doit avoir la lucidité – et dans une certaine mesure le courage – d’opérer le passage du « quoi » à celui du « comment ou du pourquoi » (p. 92). En cela, la dimension éthique dans sa démarche apparaît comme le référent qui l’incitera toujours à promouvoir entre plusieurs normes, celles qui protègent la liberté, la justice et l’équité, ainsi que d’autres valeurs positives, ou de remettre en cause les normes iniques dans le cas où celles-ci sont les seules en vigueur. En un mot comme en plusieurs, « c’est une dogmatique éthique qui doit guider les juristes en général, les juristes des sociétés qui émergent ou entendent émerger à l’Etat de droit et à la démocratie en particulier. On ne peut, lorsque l’on est juriste, se permettre d’être un pur normativiste dans un environnement social où le droit est encore fortement ‘saisi’ par la politique, un contexte où le respect de la culture du droit est encore à construire » (p. 97). Abordant la question du destinataire de la dogmatique éthique, le Professeur insiste respectivement sur le juriste savant et le juge, principaux contributeurs à l’interprétation des règles de droit, acteurs qui peuvent ainsi éviter à ces règles de prendre des tournures qui en feraient un motif de rébellion des citoyens (pp. 104-105).

En fin de compte, c’est en toute logique qu’il peut dénoncer les juristes conservateurs, partisans d’un statu quo nuisible à l’épanouissement de l’homme. Pour lui, « le juriste doit être, non pas un rhéteur ou un glossateur perdu dans les nuées et arguties de toutes sortes, non pas un marchand sans scrupule éthique de son savoir, mais un ferment de la mutation positive de sa société, un défenseur acharné de l’Etat de droit et de la démocratie, un défenseur intransigeant des droits et libertés des personnes, à commencer par les plus vulnérables, ‘les victimes de la dureté du monde’, un partisan déterminé de l’amélioration ‘du sort des statutairement faibles’, un promoteur d’un espace sécurisé pour les activités économiques légitimes et les patrimoines matériels ou immatériels régulièrement constitués » (p. 111).

Que dire de plus ?

L’ouvrage du Professeur Olinga est une œuvre utile, tant pour les juristes, s’il en est, que pour les non juristes. Sa lecture, laquelle, soit-il dit en passant, est une opportunité idoine de remise en cause personnelle de tous ceux qui, à un moment où à un autre de leur vie, se sont considérés comme juriste, permet de passer au scanner cet acteur vital dans la régulation de la vie politique et sociale. Comme Bjarne Melkevik, « convaincu que le droit doit occuper le terrain tout en gardant une saine distanciation par rapport aux convictions éthiques des uns et des autres » (Réflexions sur la philosophie du droit, L’Harmattan et Les Presses de l’Université de Laval, 2000, p. 2), on peut ne pas être d'accord avec les thèses qui y sont développées, ce qui est tout à fait normal dans le champ de la recherche. Il n’en demeure pas moins que cette publication est un bel écho à l’appel lancé par le regretté Jean-Marc Ela, pour qui « d’Afrique aussi doivent surgir des savoirs dont le monde d’aujourd’hui a besoin » (L’Afrique à l’ère du savoir : science, société et pouvoir, L’Harmattan, 2006, p. 243). Et le monde d’aujourd’hui exprime un profond besoin d’éthique…

Toutefois, l’on peut penser que la dimension éthique du juriste, plus qu’un trait de caractère que l’on peut aisément objectiver ou acquérir, est d’abord l’expression des valeurs d’humanisme qui imprègnent l’auteur de cet ouvrage. On est tenté de croire que le juriste qu’il appelle de ses vœux n’est pas seulement le « juriste supérieur » (p. 30) ou « accompli » (p. 109) dont il parle, celui qui fait partie des « grands de la famille » (p. 108) et dont la postérité garde un souvenir heureux et indélébile, mais c’est aussi d’un juriste idéal (pas forcément parfait) qu’il s’agit ; idéalisme auquel malheureusement les exigences actuelles de la société et de la vie quotidienne ne prédisposent pas tous les ouvriers et architectes du droit. En effet, au-delà des convictions personnelles des uns et des autres, la dogmatique éthique semble être davantage adaptée au juriste qui dispose d’une marge de manœuvre suffisante, celui dont les positions sont dictées, certes par la norme dans ses diverses virtualités, mais surtout par sa conscience et ses convictions intimes. Celui-là qui ne reçoit pas d’ « instructions de la hiérarchie » ou qui ne ploie pas, comme le disait le Professeur Kamto, sous « la dictature du besoin » (L’urgence de la pensée. Réflexions sur une précondition du développement en Afrique, Editions Mandara, p. 29), bref qui ne peine pas sous la tyrannie des pressions de toutes sortes (professionnelles, financières, sociales ou autres). Mais, ayons le courage de le dire, c’est de ce juriste que la société camerounaise a besoin aujourd’hui ; le Professeur Alain Didier Olinga en fait partie.

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commentaires

T
Slt il se fait un peu tard mais félicitation pr cet ouvrage et encor bravo
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H
je regrette que mon timing soit quelque peu problématique. néanmoins merci très cher pour ton initiative; permets moi d'apprécier cette note de lecture et de te témoigner au bout de la ballade toute ma déférence. ta production aiguise mon appétit de dévorer l'ouvrage du juriste Alain Didier OLINGA, ce Grand Maître du Droit. mon intérêt sera surtout la distinction du "juriste dont la société camerounaise a besion aujourd'hui" et le libre penseur.
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A
Ton timing ne pose aucun problème cher ami, et ta réaction à elle seule me réjouit. Si j'ai bien compris ta préoccupation finale et sans vouloir anticiper la lecture de cet ouvrage que je recommande une fois de plus, je voudrais juste dire que si le "juriste dont la société camerounaise a besoin" met le droit au service de cette société, les préoccupations du libre penseur ne le circonscrivent pas forcément à une société donnée.
A
Monsieur ANDELA et cher Frère, je le fais sans doute un peu tard, mais laisse-moi te dire combien ta note de lecture aiguise notre désir de savourer ce bel ouvrage du 'bon juriste" qu'est le Professeur Alain Didier Olinga. Comment peut-il en être autrement? Tu sais ça me rappelle le travail d'un autre Maître qui a justement été publié lorsque nous étions encore sur les bancs (bien encadrés par le Prof ADO). Il s'agit de l'ouvrage " Les intellectuels faussaires : Le triomphe médiatique des experts en mensonge" de Pascal Boniface.
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A
Tu sais que ton avis compte et peu importe le moment où il arrive. Je suis surtout ravi que tu nous aies retrouvé cet intéressant travail de Pascal Boniface qui va dans la même lancée que l'ouvrage du Prof ADO dont la lecture te ravira mieux que cette modeste note de lecture.
B
Merci infiniment pour cette note de lecture. Je te félicite pour sa profondeur et surtout sa précision dans l'analyse. Tu as pu ressortir les grands traits de cette nouvelle production scientifique du Pr. OLINGA avec consistance. Cordiales salutations et surtout Bravo.
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A
Merci pour ces compliments qui me vont droit au cœur cher ami. Puisse Dieu faire de nous des juristes au service de l'humanité, des juristes empreints d'une "dogmatique éthique".
N
Salut<br /> cet ouvrage est celui dont ont besoin tous les camerounais, et singulièrement les honorables memebres de la Cour supreme
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A
Tout à fait d'accord avec toi très cher

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