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5 août 2015 3 05 /08 /août /2015 09:19
L’idée de ce papier remonte à des conversations par la voie des sms, sur les causes du terrorisme international, que j’ai souvent eues depuis plusieurs années avec un ami dont j’ai fait la connaissance à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) en 2008. Nos positions ont toujours été opposées sur le sujet et je me vois à présent dans l’obligation de rompre unilatéralement la « confidentialité » de notre dialogue amical pour le porter sur la place publique parce que je pense que l’heure est suffisamment grave pour continuer dans l’omerta. C’est que, lors de nos derniers échanges, qui faisaient suite aux récents attentats de Maroua et contre toutes attentes, il me « félicitait » alors de ce que, enfin, j’aurais compris que la source fondamentale du terrorisme mondial, dont notre pays subissait désormais les conséquences, était la religion musulmane.

Profondément irrité par cette grille de lecture simpliste à laquelle je ne m’associerai jamais et qui, pour ma part, ne résiste pas à l’analyse scientifique à laquelle, ensemble, nous avons pourtant été formés à l’IRIC, mais conscient de ce qu’elle est malheureusement partagée par une frange non négligeable de nos compatriotes (des observations de ce type ont désormais pignon sur rue dans les taxis, les débats de rue et même dans les administrations publiques), je me suis senti dans le devoir de troquer le clavier de mon téléphone par ma plume afin d’appeler la vigilance et l’attention des camerounais sur ce qui s’apparente, insidieusement mais dangereusement, à la montée de la stigmatisation religieuse dans notre pays.


L’autre face du discours extrémiste


Le terrorisme est sans doute l’un des fléaux les plus insaisissables et les plus haïssables du siècle commençant. Il se manifeste de façons diverses (attentats, prises d’otage, assassinats, etc.) et s’appuie sur des ressorts différenciés dont l’un des plus mobilisés et des plus médiatisés ces dernières années est le discours dit « islamiste » ou « djihadiste ». Il est en effet courant aujourd’hui, d’Islamabad à Tripoli, en passant par Bagdad ou Damas, de voir des auteurs d’actes terroristes et leurs commanditaires, au moment de les perpétrer ou de les revendiquer, faire référence au Saint Coran et à la doctrine du Prophète Mahomet. Ce discours se retrouve tout naturellement dans le mode opératoire du groupe Boko Haram – devenu récemment Province d’Afrique de l’Ouest de l’Etat Islamique en signe d’alliance avec la maison-mère qui sévit en Syrie et en Irak – dont le leader, Abubakar Shekau, déclarait dans une vidéo du 20 janvier 2015 : « Nous avons tué le peuple de Baga [allusion à des massacres dans la ville de Baga au Nigéria le 03 janvier 2015]. Nous les avons en effet tués, comme notre Dieu nous a demandé de le faire dans Son Livre ».

Mais, entre le discours et la réalité, il y a très souvent un fossé dans lequel certains esprits peuvent facilement trébucher. Même si beaucoup résistent au modèle manichéen des rapports humains que ces multinationales de la terreur veulent nous imposer, un grand nombre en revanche développe de manière symétrique, consciemment ou inconsciemment, un contre-discours qui, sur la forme, n’a rien de différent du discours de l’extrémisme religieux qu’eux-mêmes prétendent condamner.

C’est pourquoi j’ai tôt fait de ranger tout autant dans le registre d’un extrémisme dangereux, les propos de certains de nos compatriotes qui, cédant peut-être au désarroi des tragédies de l’Extrême-Nord, que tous nous condamnons évidemment, ou pour d’autres raisons, veulent en rattacher les sources à une religion, la religion musulmane en l’occurrence. Les voilà donc les vrais apprentis-sorciers qui risquent d’entraîner notre pays sur une pente raide, un engrenage, dont les conséquences seraient assurément désastreuses. En effet, un tel discours enracine un climat de méfiance et de suspicion, pour ne pas dire plus, entre les différentes communautés religieuses au Cameroun qui, depuis des décennies, ont pourtant vécu ensemble en bonne intelligence. Or, le musulman qui désormais se voit refuser l’accès à un moyen de transport en commun ou qui, dans la rue, reçoit des commentaires déplacés simplement en raison de la tenue qu’il a arborée (des cas de ce type sont de plus en plus rapportés) pourrait développer un sentiment de rejet, voire d’oppression, par ceux avec qui, hier encore, il vivait fraternellement. Toute chose qui favorise le repli identitaire et pourrait à terme aboutir, si rien n’est fait, à une fracture communautaire difficilement réversible. Ce n’est certainement pas cela que nous souhaitons pour notre pays.

On remarquera pourtant que, de bonne ou de mauvaise foi, ces nouveaux apôtres de la stigmatisation deviennent eux-mêmes des complices du discours de l’extrémisme religieux dont la conséquence est de semer le chaos dans les corps et les esprits en levant les croyances religieuses les unes contre les autres et en transformant en guerre de religions ce qui en réalité n’est qu’une macabre lutte d’intérêts pour le pouvoir et l’argent. Une lutte d’intérêts dans laquelle, malheureusement, le travestissement des préceptes coraniques et des enseignements du Prophète est réduit à un simple moyen d’action comme les autres (armes de guerre, explosifs, nouvelles technologies, ressources financières, alliances, etc.) que ces groupes utilisent pour atteindre leur funeste fin, laquelle n’a rien à voir avec la religion.


Les intellectuels en sentinelles de la République


C’est pourquoi, en ces moments d’incertitude, où une partie de la population camerounaise est en quête de sens, il est un impératif de faire barrage à la montée de la stigmatisation de la religion musulmane, d’autant plus que les premières victimes des tueries de masse jusque là perpétrées au Cameroun par l’ex-Boko Haram sont les adeptes même de l’islam. La preuve avec le bilan (humain, matériel, psychologique) des récents attentats de Fotokol et de Maroua. Le scénario d’une guerre de religions (Dieu nous en préserve) serait donc le pire qui puisse arriver à notre pays et personne n’a intérêt à le souhaiter ou à le provoquer. Que les hommes se soulèvent les uns contre les autres uniquement en raison de leur appartenance religieuse voire de leur style vestimentaire, que l’on s’attaque à un X simplement parce qu’il est un fidèle d’Allah ou que l’on élève des soupçons à l’égard d’un Y précisément parce qu’il a mis une gandoura ou un hijab, ce serait abattre l’une des richesses de l’exceptionnalisme camerounais qui fait la fierté de notre pays dans le monde et constitue l’un des socles de notre unité nationale : la tolérance interreligieuse. Aussi, même dans la tourmente actuelle, notre Gouvernement ne doit pas confondre vitesse et précipitation, il ne doit pas perdre le sens du discernement en prenant des mesures qui pourraient être mal interprétées et conforter certaines attitudes de stigmatisation. Car comme le relevait à juste titre un universitaire camerounais à l’occasion d’un débat télévisé, face à ces attentats, « le problème ce n’est pas la burqa, c’est la bombe ». Par conséquent il faut s’attaquer à la bombe et non à la burqa. Cette petite phrase est lourde de sens et de puissance ; elle doit être prise très au sérieux par chacun d’entre nous, au risque que des « mesures finalement démesurées » ne fournissent des arguments supplémentaires aux agents recruteurs de la multinationale terroriste qui feraient beau jeu de pointer du doigt des « représailles » qui, selon eux, seraient alors dirigées contre des symboles de l’Islam. Ce n’est pas le problème de la légalité de ces mesures qui est en cause ici mais celui de leur légitimité, de leur proportionnalité et surtout de la perception que les uns et les autres pourraient en avoir.

Soyons donc prudents dans nos propos et attitudes. La situation est certes grave, mais la réaction, y compris à nos échelles individuelles, doit faire l’objet de la plus grande vigilance et de la plus grande lucidité. C’est la raison pour laquelle les intellectuels camerounais doivent davantage se faire entendre sur la scène publique au sujet de ce qui est en train de se passer dans notre pays. Plus que jamais, ils ont un rôle déterminant à jouer dans la sauvegarde du consensus national face à un phénomène auquel nous autres camerounais n’avons été jusque là confrontés, pour la plupart, que dans les médias internationaux. Une nouvelle page de l’histoire qui pourrait affecter durablement l’avenir de notre pays est donc en train de s’écrire. Le Cameroun, « chère patrie, terre chérie », notre havre de paix, traverse une zone de turbulence. C’est le moment pour nos travailleurs de la plume et du verbe d’agir sur le terrain où on les attend le plus. Au moment où notre nation est attaquée par un dangereux ennemi que l’on dit invisible, ils ont la responsabilité historique, à défaut de dévoiler le visage de l’ennemi, d’éviter qu’on lui colle un visage qui ne correspond pas à la réalité car les camerounais ne doivent pas se tromper d’ennemi ! C’est pourquoi nos intellectuels doivent pouvoir, grâce à leur expertise, à la rigueur et à la sagacité de leurs analyses, non seulement éclairer les décideurs politiques dans le diagnostic de la menace qui nous guette et la recherche des mesures de riposte qui pourraient être envisagées, mais également renseigner l’opinion publique afin de lui éviter de céder à l’amalgame, à la psychose, à la désinformation et aux manipulations de toutes sortes.

Le peuple camerounais ne doit pas périr faute de connaissance. Face à l’adversité, il doit rester uni dans toutes ses composantes pour faire face à l’ennemi commun. Si, comme le relevait Platon, « nul n’est méchant volontairement », on en déduit alors dans une logique aristotélicienne que le mal peut parfois résulter d’une ignorance du bien, que la méfiance et finalement la discorde peuvent découler d’une méconnaissance de l’autre. C’est pourquoi je pense que les intellectuels camerounais ont la lourde responsabilité de se poser définitivement en sentinelles aux fins de sauvegarder l’union sacrée de tous camerounais autour des valeurs fondamentales de la République que sont la liberté, l’égalité, la laïcité et la citoyenneté. Pour que demeurent la paix et la tolérance entre toutes les composantes de notre cher et beau pays le Cameroun.
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