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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 01:31

 

La situation en Libye est sans nul doute le fait qui monopolise l’attention de la communauté internationale en ce moment, à côté du drame que traverse le Japon suite au séisme et au tsunami qui ont ravagé une partie du pays le 11 mars 2011. Ainsi, le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1973 (2011) en vue d’assurer la protection des civils et des secteurs où vivent des civils et d’assurer l’acheminement de l’aide humanitaire et la sécurité du personnel humanitaire en Libye. Si l’objectif d’une telle résolution peut sembler noble dans son principe, au regard de la mission principale qui est celle du Conseil de sécurité des Nations Unies (le maintien de la paix et de la sécurité internationales), celle-ci n’échappe pas à la grille de l’analyse critique, sur le triple plan de sa légalité, de sa légitimité et de son efficacité.

Sur le plan de la légalité, il faut dire grosso modo que les résolutions du Conseil de sécurité sont astreintes à des conditions de fond et de forme. Sur le fond, le Conseil doit se prononcer sur des questions qui relèvent de son domaine de compétence, à savoir précisément les questions qui relèvent des chapitres VI (règlement pacifique des différends), VII (action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix, d’acte d’agression), VIII (accords régionaux) et XII (régime international de tutelle) de la Charte des Nations Unies. En l’espèce, le Conseil prétend agir en vertu du chapitre VII (préambule de la résolution). Peut-on alors affirmer que la situation en Libye représente une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression ? Les membres du Conseil, pour justifier leur intervention relèvent, entre autres, les violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme, de même que les actes de violence et d’intimidation à l’égard des journalistes, des personnes des médias et des étrangers. Ce qui, de mon point de vue, est suffisant pour justifier la mobilisation du chapitre VII de la Charte, en raison de l’envergure que l’on reconnaît aujourd’hui aux droits humains sur la scène internationale. C’est sur la forme en revanche que la résolution pose problème. En effet, lorsqu’une résolution ne porte pas sur les questions de procédure (comme c’est le cas en l’espèce), elle n’est valide que si elle a été prise par un vote affirmatif de neuf membres (au moins) parmi lesquels tous les membres permanents (article 27§3 de la Charte des Nations Unies). En l’espèce, la résolution a été adoptée à une majorité de dix membres et cinq abstentions, dont celle de la Chine et de la Fédération de Russie, membres permanents du Conseil. Ce qui en principe aurait dû l’invalider. Il faut toutefois reconnaître que cette pratique s’est vulgarisée au sein du Conseil et de nombreuses résolutions sont aujourd’hui prises sur des questions identiques sans le consentement formel de tous les membres permanents (on est là en présence d’une coutume contra legem).

Sur le plan de la légitimité, la question est celle de savoir si la résolution correspond aux aspirations de la communauté des Etats dans son ensemble. Certes, conformément à l’article 24 de la Charte, en s’acquittant des devoirs que lui impose sa responsabilité, le Conseil de sécurité agit au nom de tous les membres des Nations Unies. Le problème de la légitimité ne devrait donc normalement pas se poser. Mais la composition du Conseil de sécurité aujourd’hui est contestée (voir mon article sur la réforme des Nations Unies), notamment par un certain nombre de pays africains et émergents. C’est la raison pour laquelle les auteurs de la résolution recherchent le consensus le plus large, en s’appuyant au besoin sur les condamnations formulées par la Ligue des Etats arabes, de même que l’Union Africaine et le Secrétaire Général de l’Organisation de la Conférence Islamique sur les exactions commises par les autorités libyennes. Toutefois, une lecture du vote des membres du Conseil permet également de se faire une idée des lignes de fracture qui caractérisent la communauté internationale face à la situation libyenne. En effet, l’essentiel des pays émergents membres du Conseil de sécurité se sont abstenus (les cinq abstentions sont celles de la Chine, de la Fédération de Russie, du Brésil, de l’Inde et de l’Allemagne), tendance lourde qui traduit une certaine volonté de se démarquer du diktat des grandes puissances. En outre, bien que tous les pays africains membres non permanents du Conseil (Afrique du Sud, Nigéria, Gabon) aient voté en faveur de la résolution, le Comité de l'Union Africaine sur la Libye a condamné le recours à la force contre la Libye et appelé à la cessation immédiate des hostilités.

Du point de vue de son efficacité, permettez-moi d’abord de rappeler la substance des mesures préconisées par la résolution du Conseil de sécurité pour remédier à la situation en Libye. Elles sont d’ordre judiciaire (saisine du procureur de la CPI pour l’examen des crimes commis, qui s’apparentent à des crimes contre l’humanité), militaire (établissement d’une zone d’exclusion aérienne et application d’un embargo sur les armes), économique et financière (interdiction des vols et gel des avoirs d’un certain nombre d’autorités libyennes). En outre, la résolution autorise les Etats à prendre toutes mesures nécessaires pour protéger les populations et les zones civiles menacées, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit. Cet ensemble de mesures, hormis l’établissement de la zone d’exclusion aérienne, sont aujourd’hui classiques et, de mon point de vue, n’ont jamais fait leur preuve. En revanche, la zone d’exclusion aérienne, qui vise à affaiblir les capacités de l’aviation libyenne ne pourra avoir qu’une efficacité limitée dans la mesure où elle ne pourra pas mettre fin aux affrontements au sol où, semble-t-il, le pouvoir en place aura toujours le dessus. D’où la nécessité d’étudier de façon plus approfondie l’approche diplomatique initiée par le Secrétaire général des Nations Unies, qui a demandé à son envoyé spécial de se rendre en Libye en vue de faciliter un dialogue qui débouche sur les réformes politiques nécessaires à un règlement pacifique et durable de la crise libyenne.  

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commentaires

E
<br /> j'ai bien aimé votre approche sur "l'hier" crise, aujourd'hui conflit armée sur la libye. Toutefois je m'acquiterais pas d'enrichir le debat en abordant votre analyse sur la legalité.<br /> Il faut dire que la charte des Nations Unies, article 42 est claire "(...)toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales(...)". Je<br /> repete "Securité internationales". En libye nous etions dans une situation de crise, aujourd'hui de conflit interne. Il fallait bien analyser si jusqu'aujourd'hui cette crise et ce conflit<br /> menaçaient la paix et la securité internationales pour legitimer la forme et le contenu da la resolution 1973 du Conseil de Securité.<br /> Il est vrais qu'il y a le besoin urgent des proteger les civils,mais,il faut dire que, pour attendre n'importe quel objectif il faut analyser les moyens, les instruments mis en oeuvre. Est ce que<br /> nous n'avons pas, aujourd'hui, des instruments juridiques internationales eficaces dans le cadre de la protetion des civils sans pour autant recourrir a la force armée? Il est vrais que les droits<br /> humains sont des droits fondamentaux, mais la problematique se pose lorsque nous sommes dans une situation oú le non respect de ce droit ne menace pas encore la paix et la securité internationales.<br /> Quel droit sera appliqué? quel organe sera competent?Est ce que nous ne sommes pas victime des interpretations erronneés du chapitre VII.<br /> Encore une foi nous notons la necessité de revoir la charte que ne repond plus aux exigences de la societé international. Dû sa faiblesse, les Etats profitent pour l'interpreter à leurs faveurs,<br /> situation que menace l'avenir pacifique du droit international.<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Merci pour cette réaction fort pertinente.Il faut dire effectivement que la paix et la sécurité internationales sont des finalités légitimes des Nations Unies,encore faut-il qu'elles soient<br /> poursuivies dans les règles de l'art,ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce,que ce soit du point de vue de la légalité(la Russie et la Chine auraient dû accorder des votes favorables) mais<br /> aussi de la légitimité(les pays émergents sont contre,l'Afrique dans sa majorité n'approuve pas).Et nous sommes d'accord sur la conclusion:la Charte des Nations Unies doit être revisitée de toute<br /> urgence<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Salut Cher frère et Ami.<br /> <br /> je puis tout d'abord saluer ton analyse qui, à mon sens, tombe à point pour recadrer le contexte du débat afin de spécifier clairement, au delà des passions partisannes de tous bords, qui a<br /> juridiquement raison et qui a juridiquement tort dans tout ce tohu-bohu Lybien.<br /> <br /> En effet il est bon, mais aussi juste, de s'interroger sur la légitimité, la légalité et même le bien fondé de la résolution 1973, de lege ferenda, cr le plus grave dans la situation actuelle en<br /> Lybie est moins l'impact sur le régime Khadaffi et/ou sur le peuple que sur l'avenir même du droit international de la paix et la sécurité.<br /> <br /> Tout le monde aujourd'hui se rue sur un "Dictateur" rejetté par la Ligue arabe, jamais supporté par l'Occident et mal supporté par ses pairs africains. Le réalisme occidental, dont l'usage du front<br /> du feu et de la manoeuvre en tant que de besoin lorsque le rapport de force est clairement en leur avantage est ce que l'on a toujours retenu de l'action d'un Occident rédempteur des peuples<br /> opprimés à travers l'histoire. Ceci avec ou sans l'aval du Conseil de Sécurité, tout est dans l'enjeu, c'est à dire le rapport entre ce que la puissance perd et ce qu'elle gagne. Aussi aurions nous<br /> été comme des chiens de faïence devant nos petits écrans si, une fois de plus, une coalition se lançait à l'assaut du palais de M. Khadaffi pour liberer son peuple de ses griffes, au nom de la<br /> solidarité "légendaire?" de ceux-ci envers les peuples opprimés. Mais il est désolant de voir le Droit International, cette belle construction, ainsi manipulé, ainsi instrumentalisé, pour servir<br /> des desseins plus ou moins justes (snas vouloir me pronnoncer sur le fond du litige).<br /> Ce dont j'ai peur en réalité, c'est l'établissement d'une coutume qui, bien entendu, sera a géométrie variable. Je ne parle même pas des conséquences que peut receler le fait de faire chuter un<br /> Chef d'Etat étranger tout en en imposant un autre au peuple (L'exemple Irakien et la reconnaissance du Mouvement rebelle de Benghazi le laissent clairement présager...).<br /> Enfin protéger Qui? Comment? Contre qui? Aucune réponse ne semble être claire dans cette résolution:<br /> - Protéger la Population civile. Celle-ci a-t-elle jamais été prise spécifiquement pour cible? Ou veut-on polémiquer sur les victimes collatérales d'une guerre civile, puisqu'il s'agit en réalité<br /> de cela (du moment où il y a opposition entre les forces loyalistes et des rebelles armés et organisés). Les combattants armés seraient-ils des civils? faudrait alors reviser les conventions de<br /> Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels;<br /> - Contre qui: Il me semble que dans un contexte de guerre civile, toutes les parties onst responsables, même si c'est à des degrés divers, des morts de civils. La preuve en Lybie, qui représente un<br /> danger pour les personnes de race noire? L'armée ou les rebelles? Oh oui les noirs ça compte pas, j'oubliais!<br /> <br /> Merci pour cette reflexion à Chaud, et portes toi bien.<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Merci cher ami pour cette réaction qui vient éclaircir les zones d'ombre de cette analyse "à chaud".Je partage entièrement les préoccupations que tu soulèves et qui montrent clairement la<br /> précipitation avec laquelle il était question d'en finir avec un acteur qui gêne et qu'on a du mal à contrôler.Je voudrais d'ailleurs ajouter une autre inquiétude.La résolution 1973(2011) du CSNU<br /> donne un chèque en blanc à des puissances non identifiées dans la mesure où elles ont le droit de prendre "toutes les mesures nécessaires" pour protéger des populations civiles qui en réalité<br /> n'ont rien de civil.C'est cette instrumentalisation du Conseil doublée de la partialité de ses membres qui choquent,même s'il n'est pas question pour nous d'approuver les initiatives du maître de<br /> Tripoli.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Analyse très juste de mon point de vue. Si cela est d'autant plus vrai s'agissant de son efficacité, je vais toute fois émettre quelques réserves concernant la légalité et la légitimité de cette<br /> reforme.<br /> S'agissant de la légalité et en s'appuyant sur les chapitres de la charte que tu cites (VI et VII), elle est selon moi relative et douteuse car comme le stipule la charte, il faut une certaine<br /> graduation dans la prise de décision. En d'autres termes le principe serait d'avoir des sanctions économiques et tout le patata (chapitre VI) avant les sanctions "repressives" proprement dites<br /> (Chapitre VII). Cela supposerait donc un delai moyen avant le passage d'une phase à l'autre. Dans le cas d'espace, où est-il? Ca fait peine 3 mois que la crise Libyenne dure et deja nous sommes<br /> dans l'application du Chapitre VII. De fait j'y Vous Plutot un malaise chez certains membres du conseil de securité qui ont decidé d'en finir avec le colonel Khadafi; ce qui pose in fine le<br /> probleme de l'instrumentalisation du Conseil de Securité.<br /> S'agissant de la legitimité de cette resolution, elle serait donc à revoir. Ton article sur la reforme prend ipso facto ici toute sa pertinence mon cher Jacques. L'ordre mondial a changé, change et<br /> changera. Le leadership DES "anciennes grandes puissance" a un impact relatif de nos Jours. Faudrait-il donc considerer comme legitime une resolution qui emane du conseil? Cette question (de<br /> legitimité) devrait-elle meme encore se poser eu egard a la configuration "antique" du conseil?<br /> Dans tous les cas je te remercie pour ton article qui est tres interessant.<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Merci beaucoup cher ami.J'approuve entièrement tes observations qui enrichissent davantage le débat<br /> <br /> <br /> <br />

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