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24 septembre 2010 5 24 /09 /septembre /2010 14:17

Au-delà de sa perception simpliste et simplificatrice, cette étude pose une problématique plus subtile : peut-on identifier un corpus juridique, de caractère international, dont la provenance, autant que les préoccupations sont inhérentes à l’Afrique ? Ceci dit, la réflexion que j’entends mener est intéressante à deux titres au moins. D’une part, elle permet de problématiser la capacité des africains à trouver des solutions juridiques originales aux problèmes de l’Afrique et du monde et, d’autre part, d’opérationnaliser l’énorme potentiel africain dans un secteur qui contribue à façonner la scène mondiale, à savoir le droit international. Dans les développements qui suivent, je m’attèlerai donc à montrer que l’Afrique a contribué à l’évolution du droit international tant au niveau de ses sources que de son objet.

Le rôle de l’Afrique dans l’évolution des sources du droit international

La notion de source renvoie à une double réalité en droit international. En premier lieu, il y a les sources matérielles, qui répondent à la question de la raison d’être du droit international (pourquoi le droit international ?). En second lieu, il y a les sources formelles qui, elles, s’intéressent à la problématique des modalités d’établissement et de constatation de ce droit (comment le droit international). Qu’il s’agisse de la première ou de la seconde perception de la notion de source, on verra bien qu’il est loisible d’identifier les sources d’un droit international africain.

Sur le premier point, à savoir les sources matérielles du droit international, certes la discipline est née à un moment où l’Afrique n’avait pas encore une existence juridique en tant que telle et de ce point de vue n’avait pas voix au chapitre. Dans cette perspective, le droit international était donc un droit essentiellement, sinon exclusivement européen mais, selon les convenances de l’époque, il n’en demeurait pas moins du droit international. Or, avec la fin de la domination coloniale et l’accession à l’indépendance aidant, les pays africains vont initier un double mouvement qui vise à reconfigurer le droit international : il s’agit d’abord de contester un ordre juridique international façonné en leur absence (et donc bien évidemment ignorant de leurs intérêts et préoccupations) et, ensuite, de revendiquer un nouvel ordre juridique international. Et ce mouvement de revendication ne s’est pas calfeutré sur le terrain des incantations. En effet, en reproblématisant la raison d’être du droit international (le pourquoi du  droit international), les Etats africains ont contribué à imposer de nouvelles thématiques dans l’agenda international et qui ont été prises en compte par la communauté internationale. Ainsi donc, si le droit international vise à conduire les Etats au firmament de la paix et du bien être, pouvait-on conclure, au moment de l’accession des Etats africains à l’indépendance, que tel était effectivement le cas ? L’une des plus grandes contributions des Etats africains aura donc été de remettre au goût du jour les préoccupations économiques et de bien être partagé au centre du débat international. C’est dans ce sens que les Nations Unies vont adopter une déclaration faisant de la décennie 1970 la décennie du développement, reconnaissant par là l’importance que cette question devait occuper sur la scène internationale et précisément en droit international. On comprend donc pourquoi, comme nous ne le verrons un peu plus loin, un grand nombre de textes à vocation économique seront adoptés dans la mouvance de cette déclaration. En un mot, nous voulons dire ici que la contribution des africains aura été de faire des questions de développement une préoccupation au centre de l’élaboration du droit international.

En revanche, au chapitre des sources formelles du droit international (que l’on peut identifier de prime abord à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice), on pourrait conclure que l’Afrique n’a pas apporté grand-chose tant lesdites sources n’ont pas beaucoup évolué depuis l’arrêt de la CIJ dans l’affaire des essais nucléaires. Une telle conclusion serait toutefois hâtive. En effet, la contribution de l’Afrique sur ce terrain pourrait être rangée à un double niveau.

Tout d’abord, le continent africain a contribué à donner une nouvelle perspective à la coutume internationale dans les relations internationales, faisant émerger ce que René-Jean Dupuy a appelé « coutume sauvage », par opposition à la « coutume sage ». Ainsi, par leur attitude, les Etats africains nous enseignent qu’à défaut de faire bouger les lignes rigides du droit conventionnel, il est possible de faire évoluer le droit international plus rapidement par le biais de la coutume internationale, une coutume internationale où l’élément psychologique (l’opinio juris) précède l’élément matériel (la consuetudo) ; autrement dit, la conviction que l’on agit conformément au droit précède la consolidation de la pratique dans le temps et dans l’espace. Ainsi donc, la coutume internationale peut émerger dans un laps de temps réduit, dès lors que la pratique convergente des Etats, quand bien elle n’est pas encore consolidée dans le temps et dans l’espace, a pour soubassement la conviction que l’on agit conformément au droit, comme la jurisprudence internationale, semble-t-il, l’a légitimé dans l’affaire du plateau continental Tunisie-Libye.

En outre, à défaut de faire consacrer leurs revendications directement dans un cadre conventionnel, les Etats africains ont contribué à revaloriser le droit résolutoire et déclaratoire sur la scène internationale. Pour cela, ils ont choisi la voie des organisations internationales où ils disposent de la majorité élective. C’est en procédant par cette voie qu’ont été adoptés, par l’Assemblée générale des Nations Unies, parfois contre la volonté des pays occidentaux, un certain nombre de textes internationaux d’envergure. Il s’agit par exemple de la déclaration sur la souveraineté permanente des Etats sur leurs ressources naturelles du 14 décembre 1962, la déclaration relative à un nouvel ordre économique international 1er mai 1974, la charte des droits et devoirs économiques des Etats du 12 décembre 1974 ou encore la déclaration sur le droit au développement du 4 décembre 1986. Certains de ces textes seront d’ailleurs consacrés au niveau conventionnel quelques années plus tard.

Le rôle de l’Afrique dans l’évolution de l’objet du droit international : l’émergence du droit international africain

En ce qui concerne l’objet du droit international, il s’agit de s’attarder sur le contenu matériel et concret dudit droit. Il est évident, sur ce point, que parler de droit international africain suppose que celui-ci porte principalement sur des préoccupations africaines, quand bien même ces préoccupations, à quelques moments irradient la scène mondiale. En effet, qui mieux que les africains peut penser les problèmes de l’Afrique et y trouver des solutions, y compris au plan juridique. Ainsi donc, le droit international africain vise à identifier les problèmes africains et à y proposer des solutions africaines, de même qu’il vise à apporter la touche africaine à la résolution des grands problèmes qui affectent la planète dans sa globalité.

A ce titre, sur un plan proprement africain, il est remarquable de relever que les Etats africains, ayant pleinement pris conscience des problèmes liés à l’implantation de la démocratie sur le continent, ont décidé d’attaquer le problème de front en adoptant un ensemble de textes de portée contraignante, destinés à faciliter son implantation sur le continent. On peut citer à cet effet la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 qui, entre autres objectifs, vise à « promouvoir l’adhésion de chaque Etat partie aux valeurs et principes universels de la démocratie et le respect des droits de l’homme » (article 2) ou encore l’inscription, dans l’acte constitutif de l’Union africaine, d’un principe de la « condamnation et du rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement » (article 4 alinéa p). On peut également faire référence à la Charte africaine de la jeunesse, premier texte international de portée juridique consacrée exclusivement à cette catégorie sociale, qui reconnaît dans son préambule que « la jeunesse représente un partenaire et un atout incontournable pour le développement durable, la paix et la prospérité de l’Afrique avec une contribution unique à faire au développement présent et futur ». On pourrait également citer dans la même lancée des textes consacrés spécifiquement aux préoccupations africaines : la convention OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique du 3 juillet 1977, la Charte de la renaissance culturelle africaine du 24 janvier 2006 ; autant de textes qui attestent de la volonté des Etats africains de mobiliser et de façonner l’outil juridique afin d’affronter les problèmes qui leur sont propres.

D’un autre côté, on souligne que l’Afrique a également apporté sa contribution à l’évolution du droit international mondial d’un point de vue substantiel. Quelques exemples suffiront pour s’en convaincre. Alors que le concept de ressources naturelles est omniprésent dans le débat international, notamment dans le contexte actuel où la planète milite en faveur de leur conservation, aucune source de droit à vocation universelle n’en propose une définition. Il faut, pour cela, se référer à la convention africaine sur la protection de la nature et des ressources naturelles du 11 juillet 2003 pour en avoir une définition précise. Ainsi, conformément à l’article V de ce texte, les ressources naturelles sont des « ressources naturelles renouvelables, tangibles et non tangibles, notamment les sols, les eaux, la flore et la faune, ainsi que les ressources non renouvelables ». De même, c’est dans le droit africain que l’on retrouve la définition la plus commode du réfugié dans le contexte international actuel. Celui-ci n’est plus seulement l’individu qui quitte son territoire national pour fuir des persécutions dont il fait l’objet en raison de ses convictions politiques, philosophiques ou religieuses (Convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés et apatrides du 28 juillet 1951), mais également « toute personne qui, du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’événements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité » (article I alinéa 2 de la convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique). Ainsi peut-on constater que des pays comme les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne ont accordé et continuent d’accorder refuge à des étrangers tout simplement en raison d’un conflit qui se déroule dans leur pays d’origine (Afghanistan, Irak) alors qu’ils ne sont pas liés par les dispositions de la convention OUA. N’est-ce tout simplement pas là l’aveu d’un anachronisme de la Convention ONU de 1951 et le triomphe de la vision africaine sur la question des réfugiés à l’échelle mondiale ?

Je citerai enfin la convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique du 22 octobre 2009 (convention de Kampala) qui est le seul instrument de valeur contraignante consacrée à cette catégorie de personnes vulnérables à l’échelle internationale. Conformément à son article 2, elle se donne ainsi pour objectif de « promouvoir et renforcer les mesures régionales et nationales destinées à prévenir ou atténuer, interdire et éliminer les causes premières du déplacement interne, et prévoir des solutions durables ». En ce sens, elle pourrait constituer une base de discussion en vue de l’adoption d’une convention similaire à l’échelle mondiale, tant il est vrai que le problème des déplacés ne se pose pas seulement en Afrique.

En somme, il apparaît au regard des développements qui précèdent que l’Afrique a son mot à dire dans l’évolution du droit international. De ce point de vue, à la question que se pose Maurice Flory, à savoir « le droit international est-il européen ? », la réponse devient évidente.

Le droit international naît avec les traités de Westphalie de 1648 qui mettent fin à la guerre de trente ans et qui constituent l’acte de naissance de l’Etat moderne et souverain. Le droit international a cette époque est donc exclusivement un droit interétatique.

Il s’agit des traités, de la coutume internationale, des principes généraux de droit, des décisions judiciaires, de la doctrine et de l’équité.

Dans cette affaire, la Cour indique que les actes unilatéraux des Etats et des organisations internationales doivent également être considérés comme des sources formelles du droit international.

CIJ, affaire du plateau continental Tunisie-Libye, Rec., pp. 47-48.

Maurice Flory, « Le droit international est-il européen ? » in RCADI, L’avenir du droit international dans un monde multiculturel, colloque de 1983, Martinus Nijhoff Publishers, La Haye/Boston/Londres, 1984, pp. 287-297.

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